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Jean Eudes Biem : « De nouveaux axes de coopération entre le Cameroun et la France… doivent être définis »

Vous  êtes prospectiviste, expert en stratégie de développement endogène et Conseiller au Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines (CERDOTOLA), organisme intergouvernemental d’étude et de valorisation des patrimoines. Vous êtes Directeur scientifique au Laboratoire d’idées du Think Do Tank The Okwelians « qui promeut une culture d’innovation sociale visant à accélérer la transformation structurelle du Cameroun ». Parlez nous  de vote rôle dans The Okwelians et des perspectives que vous entrevoyez ?

J’interviens ici à l’initiative de The Okwelians et ce qui est intéressant ce sont les continuités entre les interventions institutionnelles que vous avez évoquées. Sur le coup, The Okwelians démontre de façon exemplaire une capacité à s’approprier et amplifier en vue de leur exploitation optimale des résultats de recherches produites par des institutions intergouvernementales d’impulsion, tout en développant ses propres apports et productions. En restant attentif aux travaux des Institutions internationales multilatérales et interafricaines, et en particulier du CERDOTOLA qui assure par ailleurs la tutelle scientifique du réseau des think tanks camerounais, The Okwelians amplifie son propre rôle de Think Tank qui est de se constituer comme une force de proposition autour d’un dispositif de recherche aussi objectif que possible pour élaborer, influencer relayer des idées et outils de plaidoyer, et d’appui à la conduite de politiques et stratégies d’intérêt général.

Après seulement un an d’existence, cette jeune OSC camerounaise a eu la bonne inspiration de se mettre en capacité de contribuer à la recherche et la mise en œuvre au Cameroun, du thème de l’Union Africaine pour 2021 : « Année des Arts, Cultures et patrimoines comme leviers d’édification de l’Afrique que nous voulons ». C’est ainsi que The Okwelians a pu, d’un point de vue grassroots, et avec des relais dans le monde des entreprises, contribuer à l’exploration des voies et moyens pratiques de vulgariser et d’opérationnaliser des outils innovants comme le concept d’industradition que j’ai développé au CERDOTOLA avec le Pr. Charles Binam Bikoi, pour booster la planification des lignes d’action stratégique pour le Made in Cameroon et soutenir la politique gouvernementale de l‘import-substitution, entre autres. Les perspectives me semblent excellentes.

En nous intéressant particulièrement aux enjeux de transformation économique qui interpellent le monde de manière générale, et l’Afrique d’une manière plus pressante encore, quelle stratégie de coopération The Okwelians suggère-t-il pour le Continent ?

Avec l’approche innovante d’intervention publique citoyenne bien formée et informée de The Okwelians, et en appropriation de nouveaux concepts de développement endogène et culturellement soutenable comme l’industradition, il est question d’adopter une optique résolument endogéniste et de privilégier la construction des chaines de valeur africaines. Pour réussir à construire des Chaines de Valeurs fortes en vue d’une croissance soutenable et des emplois nombreux et décents, le moyen le plus efficace est de bâtir sur ce que les Africains savent déjà faire, en faisant converger les éléments orientations top-down des politiques gouvernementales et les apports en bottom-up du foisonnement des activités de l’économie populaire culturellement ancrée.

Il est impératif d’impliquer les partenaires dans la construction de ces Chaines de valeur pour relever notre position dans le commerce mondial. Ces partenariats vont multiplier les opportunités de réduire notre dépendance aux importations, d’économiser nos devises, et d’investi dans des niches et filières porteuses de compétitivité à l’exportation. Les Africains et leurs partenaires gagneraient à porter une attention renouvelée sur le réservoir industraditionnel jusque-là réprimé par les politiques publiques et la coopération. On ne peut plus ignorer les traditions locales et les rejeter dans l’informel alors que le continuum sectoriel traditionnel-informel occupe 60% à 80% de la force de travail africaine, constitue plus de la moitié du PIB (52,4% en Afrique subsaharienne), et génère entre 80% et 94% des nouveaux emplois chaque année sur le continent.

Une visite du Président Macron est annoncée au Cameroun, avec en toile de fond les enjeux de souveraineté alimentaire. De manière concrète, que préconise The Okwelians sur la question et plus largement la coopération économique entre la France et le Cameroun ?

Un changement de paradigme : refonder la coopération sur les capacités d’accélération endogène de la diversification économique. De nouveaux axes de coopération entre le Cameroun et la France, entre les pays de l’UE et de l’UA, doivent être définis et s’inscrire dans l’optique d’un soutien-accélération du développement industriel local, la manufacture industraditionnelle qui est en plein boom et en demande de formalisation. Il faut inscrire parmi les priorités l’optimisation des activités qui soutiennent la vie du plus grand nombre d’Africains.

Cela permettrait d’identifier des milliers de produits dont les centaines de Chaines de Valeur pouvant être construites et additionnées à des celles qui retiennent généralement la priorité, ce qui génèrerait aussi des gains de productivité et de compétitivité africaines dans ces filières classiques. Dans ce cadre nouveau, les entreprises françaises en particulier qui envisagent d’investir en Afrique devront sortir du carcan de l’hétérogénéité structurelle, des activités de forte productivité isolées du reste de l’économie. Elles vont alors s’inscrire dans des partenariats de coproduction avec des entreprises camerounaises et Africaines, ce qui augmenterait du même coup la rentabilité des investissements et la diffusion des gains de productivité dans l’ensemble du tissu économique local, créant d’autres opportunités, activités et capacités de coproduction en cercles vertueux.

La coopération économique entre l’Afrique et l’Europe se focalise déjà sur ces chaines de valeur pourtant. Que faudrait-il modifier dans ce cas ?

La coopération économique entre l’Afrique et l’Europe est encore loin de s’inscrire de façon systématique dans ce changement de paradigme. Le cadre d’orientation et de déploiement n’a pas encore été défini et mis en place. Si cela était le cas, nous verrions une multiplication extrêmement avantageuse de phénomènes de blitz économiques comme le développement de la Chaine de Valeur manioc ivoirienne. Soutenue par l’UE, elle produit cinquante millions de tonnes de manioc par an qui, transformées en seulement deux produits industraditionnels (le placali et l’attiéké), génère une valeur ajoutée totale de six cent milliards de dollars par an dans l’économie du pays. Vous imaginez ce qui est possible avec les chaines de valeur manioc du Cameroun, du Nigeria, ou de la RDC qui ont chacune des dizaines de produits industraditionnels à valeur ajoutée ? La valeur ajoutée totale de la seule Chaine de valeur manioc bien développée au Cameroun par exemple pourrait multiplier par dix celle de Côte d’Ivoire, et surpasser le budget de l’Etat (rectifié de CFA 5 752 à 6 080 milliards pour 2022). De telles perspectives d’exploitation industrielle hyperproductive immédiate existent pour de nombreux produits de l’industradition agroalimentaire, agropharmaceutique, agrocosmétique, cuir-textile confection, ainsi que des industries de l’héroïsme traditionnel qui s’accélère déjà avec de projets comme le concours Netflix-UNESCO pour la formation de jeunes cinéastes au développement cinématographique des contes traditionnels africains.

Il est donc important de créer un cadre favorable autour d’au moins quatre piliers : la promotion de l’opportunité africaine par la priorité à la construction des chaines de valeur endogènes en coproduction ; l’intégration des chaines de valeur africaines montantes, celles bien établies et aux meilleures normes internationales comme celles de l’UE et des autres partenaires comme les Etats-Unis, les BRICS, la Turquie, etc. ; le financement de la croissance africaine et la réduction des hypothèques budgétaires par la mobilisation des atouts financiers endogènes en complément des mécanismes de stabilisation ainsi que l’appui à la mise en place d’infrastructures de soutien à la production et l’innovation en Afrique avec élimination de l’endettement improductif, etc..

Un dernier mot ?

Pour être crédibles et efficaces, les nouvelles approches et pratiques de coopération économique s’appuieront sur la recherche-développement et une plus large mobilisation des ressources et compétences africaines. Cela passe notamment par la construction de sociétés civiles africaines influentes, performantes en recherche opérationnelle, et mieux articulées avec l’action gouvernementale et la recherche académique. Il est aussi essentiel de dépasser les vieilles focalisations sur les rentes, investir dans la matière grise et l’accroissement rapide des gains de productivité via la mise à niveau technologique et l’intensification du capital humain. Enfin, l’inclusion : les forces vives africaines ont des idées et projets novateurs à intégrer impérativement dans les cadres formels en vue de débrider la productivité et accélérer l’innovation continue avec la levée des hypothèques structurelles par des réformes adéquates, notamment pour des systèmes fonciers justes ; l’accélération des transitions numérique, écologique, énergétique ; le soutien à l’économie verte et circulaire.

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