Dans un contexte où l’information est asymétrique, la dénonciation peut être vue comme un instrument de correction du marché de l’information. Selon la théorie des incitations, un agent rationnel détenant une information sur un acte de corruption, a le choix de la révéler si le système lui garantit une utilité attendue au-delà de celle qu’il tirerait du silence.

Une externalité positive au service de la transparence

Dans la théorie classique, la dénonciation peut être assimilée à la production d’une externalité positive. En d’autres termes, celui qui signale un acte de corruption met en lumière un dysfonctionnement institutionnel, renforçant par ce biais, la qualité de la gouvernance.

En ce qui concerne la théorie des jeux, la dénonciation agit comme un mécanisme dissuasif.  En augmentant la probabilité d’être découvert, elle modifie le calcul coût-bénéfice des agents potentiellement corrompus. L’individu, s’il sait qu’il peut être dénoncé par ses collègues, ou autres, peut renoncer à l’acte corrompu si les sanctions attendues dépassent les gains escomptés.

Au Cameroun le nombre de dénonciations d’actes de corruption a augmenté. Selon le récent rapport annuel 2024 de la Commission nationale anti-corruption (Conac), 10 520 dénonciations ont été enregistrées, contre 7 548 dénonciations en 2023, soit une augmentation de 2 972 en valeur absolue et de 39,37% en valeur relative. Ces signalements, recueillis via divers canaux, permettent de dresser un classement des secteurs les plus affectés.

Le rapport sous revue place le secteur foncier en tête de liste, conservant sa place avec 538 dénonciations, représentant 24,65% des plaintes enregistrées. Il est suivi du secteur financier qui, avec 415 dénonciations (19,01%), est le deuxième le plus corrompu au cours de la même période. La fonction publique arrive au troisième rang des domaines où les actes de corruption sont le plus décriés avec 371 dénonciations (17,06%). Quant au secteur de l’éducation, il est en quatrième position, avec 240 dénonciations (10,99%).  Comme en 2023, les marchés publics ferment le top 5 avec un total de 148 dénonciations (6,78%).

Au-delà de ce classement, le fléau continue d’être présent dans d’autres secteurs. Il s’agit entre autres de l’énergie : 103 dénonciations (4,72%) ; la santé publique : 63 dénonciations (2,88%) ; le commerce :  69 dénonciations (3,16%) ; la forêt et la faune : 98 dénonciations (4,49%) ; le transport : 55 dénonciations (2,52%), l’administration territoriale : 70 dénonciations (3,20%) ; les sports : 12 dénonciations (0,54%).

Le paradoxe de la dénonciation

Au Cameroun, la dénonciation se heurte à une série de contradictions structurelles. Dans un contexte où la justice elle-même est parfois perçue comme corrompue, la dénonciation peut se retourner contre celui qui la pratique. Le prix à payer est élevé, tant sur le plan professionnel que personnel. On peut citer entre autres, la marginalisation, les menaces, voire même des représailles judiciaires.

Qui plus est, la dénonciation, lorsqu’elle est instrumentalisée par le pouvoir politique, s’apparente à un outil de règlement de comptes, perdant ainsi toute sa portée éthique et économique. Au demeurant, l’« Opération Épervier », si souvent citée comme un instrument d’ «anti-corruption » au Cameroun, en est une parfaite illustration. S’il est pour certains un synonyme de transparence, pour d’autres il reflète une justice sélective, utilisée à d’autres fins. De ce fait, sans une architecture institutionnelle solide, la dénonciation devient un outil à double tranchant.

Pour une véritable dénonciation

Une dénonciation véritable, c’est-à-dire au service de l’intérêt général et non d’intérêts privés, revient donc à s’arrimer à un environnement institutionnel sain. A l’instar d’une mise sur pied d’un statut légal pour les véritables lanceurs d’alertes, impliquant un dispositif limpide de protection et de réparation. Ainsi que l’indépendance effective des organes de contrôle. Et enfin la mise en place d’un mécanisme d’incitation pouvant inclure des primes proportionnelles aux faits dénoncés et la société civile beaucoup plus impliquée.

De prime abord, si la dénonciation peut s’apparenter à un mythe ou sembler dangereuse dans un État à gouvernance faible, elle n’en demeure pas moins un levier potentiel de réforme. Mais pour que celle-ci devienne une véritable stratégie de lutte contre la corruption, elle doit s’accompagner de politiques publiques cohérentes, d’une justice crédible, et d’une société civile informée et protégée. Sans quoi, la dénonciation va demeurer un simple outil de communication.

Michelle Josée Ekila, Economiste en Histoire, Institutions et Développement

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