L’aviculture camerounaise, vivier important d’emplois et de l’économie nationale, est rongée par un mal profond en dépit des efforts des pouvoirs publics. Sa production annuelle a chuté de 55,55% en 8 ans, passant de 2,4 milliards d’œufs en 2016 à 1,3 milliard 2024. Ces chiffres ont été dévoilés en marge de la célébration de la Journée mondiale de l’œuf à Douala, le 21 octobre 2025.
Spécialiste en aviculture, Albert Ichakou alerte : « sans réformes urgentes, cette filière stratégique risque de s’effondrer, alors que les villes camerounaises réclament plus de protéines ». Et d’ajouter que : « Notre agriculture est plombée par la variabilité des prix du maïs et du soja, qui ont creusé un déficit dramatique », pointant du doigt les intrants coûteux : « le maïs, essentiel à 60 % dans l’alimentation avicole, atteint 300 FCFA/kg (contre 75-125 FCFA il y a quelques années), tandis que le soja, importé à 20 %, aggrave la situation. Un œuf coûte environ 48 FCFA à produire, mais se vend à 60-63 FCFA (1 900 FCFA le plateau), une marge fragile qu’on n’a vu que récemment », explique-t-il.
Cette rentabilité précaire est menacée par les importations, notamment de poulets congelés (400 FCFA/kg au Brésil) et d’œufs à couver, qui inondent des marchés comme celui du Littoral. La crise a des répercussions économiques lourdes. L’aviculture, qui emploie 30% de la population rurale et contribue à 4 % du PIB camerounais, est une filière “convoyeuse” d’emplois : éleveurs, commerçants, vétérinaires, et agriculteurs de maïs. Pourtant, les faillites se multiplient, et les pertes d’emplois s’accumulent, notamment à Douala, hub commercial clé d’autrefois, remplacé au fil du temps par la région de l’Ouest où se fait 70% de la production d’œufs.
D’ici 2032, apprend Albert Ichakou, 70 % de la population mondiale vivra en ville, et au Cameroun, les campagnes se videront. Avec une population approchant les 30 millions, les villes comme Douala exigent des protéines abordables. Pourtant, la consommation d’œufs stagne à 40 œufs par habitant/an, loin des 430 en Malaisie ou 366 au Mexique, leaders mondiaux. « L’œuf est l’aliment le plus digeste et nutritif, mais notre production ne suit pas la demande urbaine”, regrette l’expert.
À l’échelle mondiale, 1500 milliards d’œufs ont été produits en 2024, dominés par la Chine et les États-Unis. D’ici 2032, la production d’œufs devrait croître de 22 % et celle de poulets de 26 %, surpassant le bœuf et le porc (10 %). “Si nous voulons être dans la dynamique mondiale, l’aviculture doit être au cœur des politiques agricoles », insiste Ichakou. En Afrique, seuls le Kenya et le Sénégal (via des entreprises comme CISMA) émergent, tandis que le Cameroun, malgré son potentiel, reste à la traîne.


