L’annonce est tombée début décembre 2025. Orange et MTN proposent désormais des cartes Mastercard, virtuelles et physiques, adossées aux comptes de leurs clients. Pour le secteur financier, c’est un séisme. Jusqu’ici, pour un commerçant de Douala ou de Yaoundé souhaitant s’approvisionner sur des plateformes comme Alibaba ou Amazon ou Shein, l’accès à une carte internationale était un parcours du combattant, marqué par une bureaucratie pesante et des frais élevés.
Désormais, le Mobile Money ne se limite plus au règlement des factures locales ou au transfert de pair à pair. Il devient un instrument de souveraineté commerciale. En court-circuitant les circuits bancaires traditionnels pour le règlement de licences logicielles ou de campagnes publicitaires sur Facebook et Google, les opérateurs transforment le téléphone en un terminal bancaire universel.
Cette mutation est portée par un secteur des télécoms qui vient de franchir la barre symbolique des 1 000 milliards de FCFA de chiffre d’affaires, selon les dernières données de l’ART.
La menace d’une désintermédiation totale
L’enjeu économique est colossal. Comme le souligne le rapport d’avril 2025 de la GSMA, le Mobile Money contribue désormais à plus de 5 % du PIB du Cameroun, talonnant les performances du Kenya.
Le risque de « désintermédiation » pour les banques classiques est désormais une réalité tangible. Pourquoi un client maintiendrait-il un compte bancaire traditionnel, avec des frais de tenue de carte dépassant souvent les 10 000 FCFA par an, quand une carte virtuelle est accessible instantanément et sans frais de maintenance via son smartphone ?
Le Rapport sur les services de paiement dans la CEMAC publié par la BEAC en octobre 2025 confirme cette tendance. Le Cameroun consolide son leadership régional avec 63,58 % des transactions de monnaie électronique de la zone.
Si les opérateurs s’appuient toujours sur des banques partenaires comme UBA ou Afriland First Bank pour garantir la monnaie fiduciaire, ils captent désormais l’essentiel de la relation client, reléguant les banques au rôle de simples exécutants techniques.
Cette démocratisation n’est toutefois pas sans risques macroéconomiques. La multiplication des micro-transactions internationales fragmente la surveillance des sorties de devises et complexifie la lutte contre le blanchiment.
Avec plus de 11,4 millions de comptes actifs, la traçabilité des flux devient un défi technologique majeur pour le régulateur, qui doit faire respecter la stricte utilisation des instruments de paiement hors zone CEMAC. Le timing de cette offensive est d’autant plus stratégique que la bataille pour les parts de marché fait rage.
Alors qu’Orange Cameroun vient de reprendre la tête du marché global en valeur avec 50,08 % des revenus, MTN maintient une avance nette sur le segment spécifique du Mobile Money. L’introduction de la carte Mastercard apparaît comme l’arme fatale pour fidéliser les PME, historiquement plus proches des banques.
Poussées dans leurs retranchements, les banques de détail n’ont plus d’autre choix que de réinventer radicalement leur modèle ou de se résigner à n’être que les coffres-forts silencieux des géants des télécoms.
