Paiements digitaux en Afrique de l’Ouest et du Centre : Innover, inclure, réguler
L’Afrique de l’Ouest et du Centre traverse une révolution silencieuse. En moins d’une décennie, les paiements digitaux ont bouleversé le paysage financier profitant de l’essor du mobile et créant des opportunités inédites pour des millions d’Africains. Les chiffres sont éloquents : 209 millions de comptes de monnaie électronique dans l’UEMOA en 2023, contre 157 millions l’année précédente. Cette progression fulgurante interroge sur notre capacité collective à transformer l’innovation technologique en levier d’inclusion tout en maintenant les plus hauts standards de conformité réglementaire.
Des régulateurs visionnaires qui tracent la voie
Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la technologie qui a déclenché cette transformation, mais bien la vision des autorités monétaires africaines. La BCEAO et la BEAC ont su anticiper les besoins de leurs populations en créant des cadres réglementaires avant-gardistes.
L’Instruction n°008-05-2015 de la BCEAO sur la monnaie électronique demeure un modèle du genre. Plutôt que d’interdire ou de freiner, elle a ouvert la voie à l’innovation contrôlée. Plus récemment, l’Instruction n°001-01-2024 affine encore davantage cet encadrement, preuve que la régulation évolue au rythme des innovations.
La BEAC n’est pas en reste. En rendant interopérables les cartes bancaires et les instruments de paiement mobile dès 2020, elle a démontré qu’anticipation et pragmatisme peuvent aller de pair. Les systèmes SYGMA et SYSTAC témoignent de cette même approche : bâtir aujourd’hui l’infrastructure de demain.
Quand la technologie rencontre les besoins réels
Au sein de notre groupe, nous mesurons quotidiennement l’impact de cette convergence entre innovation et demande sociale. En vingt ans de présence sur le continent, notre groupe a vu se transformer les habitudes de paiement de millions d’Africains. Ce qui frappe, c’est la rapidité d’adoption : 23 533 milliards FCFA transitent désormais via le mobile money dans l’UEMOA, dépassant les flux bancaires traditionnels.
Cette adoption massive ne relève pas du hasard. Elle répond à des frustrations concrètes : files d’attente interminables, agences bancaires inaccessibles, coûts prohibitifs. La technologie a simplement permis de contourner ces obstacles structurels. Nos centres de processing, certifiés aux plus hauts standards internationaux (PCI-DSS, Visa, MasterCard), traitent aujourd’hui des volumes qui auraient été impensables il y a quelques années. Cette montée en charge s’accompagne d’une exigence croissante de fiabilité et de sécurité.
L’infrastructure comme fondement de l’écosystème
Le lancement en 2024 du système de paiement instantané interopérable de l’UEMOA marque un tournant. Opérationnel 24h/24, ce système incarne l’ambition d’une Afrique financièrement intégrée. Mais derrière cette prouesse technique se cache une réalité plus complexe : celle de la construction patiente d’une infrastructure robuste. Le GIM-UEMOA, avec ses 130 membres, illustre parfaitement cette démarche collaborative. En mutualisant les investissements et en standardisant les protocoles, il permet à des acteurs de tailles différentes de bénéficier d’une infrastructure de niveau mondial.
Notre filiale Operator Payment System, inaugurée à Lomé en 2022, s’inscrit dans cette logique. Premier centre privé certifié PCI-DSS et PCI-CP en Afrique subsaharienne, il démontre qu’excellence technique et ancrage local ne sont pas contradictoires. Le choix du Togo n’est pas fortuit : ce pays incarne la vision d’une Afrique hub technologique.
Répondre aux attentes de chaque segment de population
L’inclusion financière ne se décrète pas, elle se construit segment par segment. Les études BCEAO révèlent des comportements différenciés selon les profils d’utilisateurs : les micro-entrepreneurs et les producteurs agricoles montrent des préférences distinctes pour l’utilisation des canaux mobiles dans leurs activités de paiement.
Les solutions d’Agency Banking développées par l’ensemble des acteurs du secteur illustrent cette approche sur mesure. L’infrastructure déployée dans l’espace UEMOA, avec une forte présence en zones rurales, répond à une demande de proximité que les réseaux bancaires traditionnels peinent à satisfaire.
Cette stratégie porte ses fruits : le taux d’inclusion financière dans l’UEMOA bondit de 47% en 2016 à 72,3% en 2023. Mais au-delà des chiffres, c’est la transformation des vies qui motive les acteurs du secteur : ce commerçant qui peut enfin accepter les paiements électroniques, cette agricultrice qui épargne via son téléphone, ce jeune entrepreneur qui accède au crédit grâce à son historique de transactions.
La confiance comme condition sine qua non
L’essor des paiements numériques repose sur un contrat de confiance fragile. Les populations africaines confient leurs économies à des systèmes qu’elles ne maîtrisent pas toujours. Cette responsabilité oblige tous les acteurs du secteur. C’est pourquoi la cybersécurité n’est pas simplement un impératif technique, mais un engagement moral.
Nos investissements dans l’intelligence artificielle pour la détection des fraudes, nos certifications internationales, nos protocoles de protection des données répondent à cette exigence. Les Observatoires de la Qualité des Services Financiers, mis en place dans plusieurs pays, jouent un rôle crucial dans cette construction de la confiance. Ils rappellent que derrière chaque transaction se cache un être humain avec ses espoirs et ses craintes.
L’éducation financière demeure le talon d’Achille collectif. Les études récentes de la BCEAO révèlent des réticences significatives à l’endettement parmi certains segments de population, notamment les femmes, les jeunes et les producteurs agricoles. Le secteur mesure le chemin qui reste à parcourir. C’est un défi collectif qui dépasse largement le secteur privé.
L’innovation collaborative comme modèle d’avenir
L’expérience de notre groupe dans l’écosystème des paiements a montré qu’aucun acteur, même le plus puissant, ne peut transformer seul un écosystème. La collaboration n’est pas un choix, c’est une nécessité. Nos partenariats avec les universités, à l’image de celui noué entre notre filiale OPS et l’Université de Lomé, illustrent cette philosophie.
Former les talents de demain, c’est investir dans la pérennité du secteur. Cette approche collaborative s’étend aux relations avec les régulateurs. Plutôt que de subir la réglementation, les acteurs innovants participent à sa construction. Les retours d’expérience terrain nourrissent les réflexions des autorités monétaires, créant un cercle vertueux d’amélioration continue.
Les défis de demain se dessinent aujourd’hui
Trois enjeux domineront les prochaines années. D’abord, l’harmonisation réglementaire entre les espaces UEMOA et CEMAC. Les récentes rencontres entre gouverneurs des banques centrales laissent entrevoir des avancées prometteuses, mais le chemin reste long. Ensuite, la question de l’identité numérique. Comment garantir la sécurité des transactions tout en préservant l’accessibilité des services ? C’est l’équation complexe que le secteur doit résoudre collectivement. Enfin, l’infrastructure physique reste un goulot d’étranglement.
Connectivité défaillante, accès à l’énergie limité : ces contraintes pèsent sur le déploiement des services numériques. Nos investissements dans l’alimentation solaire des GAB montrent qu’il existe des solutions, mais elles demandent des moyens considérables. Vingt ans après nos premiers pas sur le continent africain, l’optimisme reste intact.
Les paiements numériques ont déjà transformé la vie de millions d’Africains. Ils continueront de le faire, à condition que l’écosystème sache préserver cet équilibre subtil entre innovation, inclusion et conformité qui fait la spécificité du modèle africain. L’avenir du continent se joue aussi dans cette capacité à inventer ses propres solutions financières, ancrées dans ses réalités et portées par ses ambitions.