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Industrialisation de la filière bois : Le Cameroun n’est pas encore prêt

(Leconomie.info) - Jean Faustin Ngueyep, président du Groupement de la filière bois du Cameroun (GFBC) dans une interview exclusive accordée au quotidien l’Economie fait le point sur les difficultés que rencontre ce secteur. Il propose également des pistes pour booster la transformation locale du bois.

Monsieur le président, merci de répondre aux questions du quotidien l’Economie. Comment se porte la filière bois au 31 août 2023?

Ce n’est pas un secret de polichinelle que de vous dire que la filière bois au Cameroun est économiquement fragilisée et traverse une période conjoncturelle désastreuse marquée au niveau international par : le fléchissement de 28% des cours mondiaux des bois en grumes et des bois transformés toutes essences confondues , la baisse des commandes auprès de nos clients de l’ordre de 35%, due à l’effondrement du marché de l’immobilier en Asie (Chine et Vietnam), en Europe et aux Etas Unis , la concurrence au niveau du bassin du Congo du fait du niveau élevé de la structure fiscale de la filière bois au Cameroun ; la persistance des tensions inflationnistes ayant occasionné une augmentation de près de 18%des coûts de production et des fournitures ; la situation conjoncturelle du marché ayant comme impact la baisse d’environ 21% du volume de vente.

De même, Il faut aussi relever que des facteurs au niveau national ont significativement contribué à fragiliser notre secteur d’activité. Il s’agit principalement de : la pression fiscale qui s’est matérialisée au courant des exercices 2016 à 2023, par un relèvement exponentiel des droits de sortie et taxes spécifiques de l’ordre de : 60 % pour la taxe d’abattage, 242% pour les droits de sortie des bois en grumes et 165 % pour les droits de sortie des bois transformés. Je peux également citer : l’augmentation du coût de la main d’œuvre, l’augmentation du coût du transit et de la mise à FOB, le mauvais état des routes pour l’acheminement des produits.

Le Gasoil étant la principale source d’énergie, pour faire fonctionner nos usines, l’augmentation du prix de cet hydrocarbure et les difficultés d’approvisionnement ont occasionné la baisse, voire l’arrêt du régime de fonctionnement de nos usines au cours des 15 derniers mois. Comme autres facteurs ayant fragilisé les activités de la filière bois, il y a les délais de remboursement de crédit de TVA de plus en plus longs, la multiplicité et la récurrence des contrôles des administrations publiques.  Il faut toutefois noter que nous ne sommes pas contre les contrôles mais nous souhaitons juste que ces derniers soient harmonisés et structurés afin de nous permettre de travailler en toute quiétude.

Le 18 septembre 2020 en RDC, les ministres de l’industrie, des forêts et de l’environnement de la Zone CEMAC avaient acté la décision d’interdiction de l’exportation des bois sous forme de grumes à partir du 1er janvier 2022. Une décision repoussée en 2023. Pensez-vous que cette mesure entrera effectivement en vigueur en Janvier 2025?

L’entrée en vigueur effective de cette mesure requiert que chaque partie prenante puisse jouer pleinement son rôle. Les pouvoir publics ont une grande responsabilité dans cette politique d’industrialisation de la filière bois dans le bassin du Congo, les opérateurs économiques ont également un rôle majeur à jouer pour atteindre cet idéal.

Le Cameroun est-il totalement prêt à transformer son bois localement si jamais la mesure entre en vigueur ?

A date, ce serait prétentieux de dire que nous sommes totalement prêts alors que les préalables pour une industrialisation de la filière bois que nous avons portés à l’attention du Gouvernement n’ont pas été mis en œuvre. Il ne serait pas possible de penser une industrialisation durable sans une incitation fiscale en fonction du niveau de transformation, sans une énergie en qualité et en quantité, sans une main d’œuvre bien formée, sans un marché intérieur bien structuré.

Si non qu’est ce qui reste à faire ?

Tout en saluant la volonté des pouvoirs publics à acter l’exonération des droits de douane des équipements et machines dédiés à la transformation du bois à l’importation, nous appelons le Gouvernement à mettre en œuvre les autres mesures transitoires adoptées de façon consensuelle lors des travaux du Comité Interministériel chargé d’identifier et de proposer les mesures transitoires avant l’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction de l’exportation des bois sous forme de grumes et d’avoir une oreille attentive aux préoccupations soulevées par les opérateurs de la filière bois.

La filière bois génère on le sait des recettes fiscales importantes mais reste selon vous heurtée à plusieurs contraintes. Pouvez-vous en citer quelques-unes ?

L’industrialisation de la filière bois au Cameroun est heurtée à plusieurs contraintes sur les plans administratif, infrastructurel et sur le plan de la formation. Parmi ces contraintes nous pouvons relever notamment : l’environnement des affaires dans la filière bois non propice à l’investissement, le déficit énergétique en qualité et en quantité (nous avons connu une pénurie généralisée du Gasoil qui est notre principale source d‘énergie ayant occasionnée l’arrêt de nos activités), le relèvement au cours de chaque exercice des taxes et droits de sortie sur les produits transformés , le très faible accompagnement des opérateurs économiques de la filière bois, les coûts du transport élevé, la frilosité des banques et les prêts bancaires à des taux élevés.

Que faire pour que la transformation du bois décolle véritablement ?

Plusieurs actions doivent être menées. Entre autres : l’exonération de la TVA sur les bois destinés au marché intérieur, l’application des taux dégressifs des droits de douane en fonction du niveau de transformation (10% pour les bois de la première transformation, 2 à 5% pour les bois de la deuxième transformation et 0% pour les produits finis), la priorisation des entreprises forestières lors du processus de remboursement des crédits TVA.

Aussi, il faut  résoudre le déficit énergétique rencontré par les entreprises forestières , surseoir à la taxe d’inspection des produits transformés ; maintenir les valeurs servant de base de taxation stable pendant une période de 5 ans , renforcer la formation à tous les niveaux de la filière : la matière et les techniques ; le marketing et le design; les métiers nouveaux, développer les infrastructures et les services : transports, électricité, établir des normes pour la standardisation de l’offre afin d’améliorer l’efficacité industrielle et économique.

Un dernier mot ?

Nous vous remercions de l’intérêt porté à notre secteur d’activité en général et plus particulièrement à l’endroit de notre Groupement en nous accordant cet interview et espérons que les pouvoirs publics prendront des mesures adéquates voire appropriées pour éviter la banqueroute de toutes les entreprises de la filière bois au Cameroun.

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