Catherine Gerst : « Le meilleur mécanisme pouvant aider les Etats africains à capter plus de fonds, c'est la titrisation » - L'Economie - Actualité économique, Cemac, Afrique

Dans un contexte de rareté de ressources, les Etats d’Afrique Centrale en l’occurrence peinent à financer leurs projets de développement. Quels sont les mécanismes qui, selon vous, pourraient les aider à capter des fonds ?

 Le meilleur mécanisme, c’est la titrisation. C’est-à-dire, se servir de ses portefeuilles de créance financière, afin de les vendre. D’habitude, ce qu’on vend, c’est des actifs physiques (un siège social, des stocks de produits, ou même des filiales de l’entreprise). Ce que la titrisation apporte de différent et de nouveau, c’est qu’elle permet de se servir des portefeuilles que l’on a à l’actif de son bilan : des portefeuilles de crédit pour les banques, ou de créance pour les entreprises, que l’on vend à une structure spéciale, qui lève l’argent dans le marché. La titrisation permet de transformer des actifs illiquides, tels que les créances, en titres négociables.

Ça existe depuis très longtemps. C’est pratique. Sauf qu’autrefois, ce sont les banques qui apportaient l’argent. Maintenant, à travers cette technique, ce sont les marchés financiers. C’est-à-dire, aller chercher dans les marchés financiers, des ressources venant d’investissements privés, institutionnels, fonds de pension, fonds souverains, qui ne sont pas des ressources bancaires. Il faut sortir du monde bancaire pour lever de l’argent, en cédant des portefeuilles de créance financière.

La technique de titrisation ne comporte-t-elle pas de risques ?

Bien-sûr qu’il y a des risques pour les investisseurs. C’est pourquoi il faut procéder à une analyse particulièrement fine du risque des créances que l’on cède dans le marché, de la structure qui est utilisée pour le faire, de l’environnement juridique dans lequel l’opération se déroule. Et c’est bien pour cette raison finalement que les agences de notation sont apparues et ont prospéré. Parce qu’il faut que des experts indépendants évaluent le risque que prennent les financeurs.

Revenons un peu sur la notation financière. Régulièrement, des Etats africains critiquent les notes que leur attribuent les agences de notation européennes et américaines, estimant que les spécificités locales ne sont pas prises en compte. En tant qu’ancien patronne de Moodys France, que répondez-vous à cela ?

C’est une question qui soulève beaucoup de discussions et de polémiques notamment (mais pas que) sur le continent africain. En effet, il existe des agences de notation financières locales. Dans la zone UEMOA, il y a deux agences qui existent. Il y a une nouveauté, l’Union africaine a annoncé la création d’une agence dite panafricaine. C’est un défi majeur, je ne vous le cache pas. Dans la zone Euro, nous avons essayé de faire la même chose, de créer une agence paneuropéenne, car, nous avions le même souci de ne pas être par des agences à capitaux américains. Nous avons essayé pendant 40 ans, de créer une agence européenne, et nous avons échoué. En termes d’expérience similaire, il y a la Chine qui a créé il y a une vingtaine d’années, une agence de notation chinoise, qui s’appelle Dagong. Après 20 ans d’existence, on s’aperçoit que cette agence finalement qui avait commencé un peu à noter à l’extérieur de la Chine, s’est repliée et n’arrive pas à émerger sur la scène internationale.

L’agence panafricaine que vous citez, dont la création a été annoncée pour le 2e semestre 2025, est un défi majeur, que je suis curieuse de voir l’Afrique relever. Parce que si ça fonctionne, ce sera une première. Parce qu’elle ne peut fonctionner que si les investisseurs internationaux adhèrent aux méthodologies de cette agence, et croient aux notations qu’elle émettra. C’est un premier défi.

Le deuxième défi c’est que pour être reconnu sur le plan international, une agence de notation doit noter d’autres zones que la sienne. C’est-à-dire que l’agence de l’Union africaine devra noter par exemple la dette des Etats-Unis, celle de la France, de la Chine… Pas seulement la dette des pays africains. Pour être crédible, une agence doit avoir une zone d’intervention mondiale. Ce qui implique, la mise en place de méthodologies qui ne sont pas seulement locales. Or la grande préoccupation pour des pays Africains est que les agences américaines les notent avec des critères américains. Nous, nous voudrions être notés avec des critères locaux. Sauf qu’aujourd’hui, les investisseurs des marchés des capitaux sont internationaux. Ils ne sont pas locaux. Ils sont partout dans le monde. Et vous ne pouvez pas leur proposer une échelle de notation locale. Ils veulent une sorte de standardisation. Et parmi les annonces qui ont été faites pour cette agence panafricaine, j’ai trouvé qu’il y avait quelques contradictions. C’est-à-dire qu’elle a été créée pour pouvoir tenir compte des spécificités africaines, mais on va faire en sorte qu’elle fonctionne selon les standards internationaux. Les deux ne sont pas vraiment compatibles. Donc, moi j’attends de voir avec curiosité, quelle méthodologie ils vont mettre en place, quelles échelles de notation, quels critères de notation, pour pouvoir noter aussi bien l’Etat du Sénégal, que la France, le Brésil, les Etats Unis…

Depuis quelques années, les entreprises européennes, notamment les banques, sont en train de sortir du marché africain. Qu’est-ce qui peut expliquer ce repli ?

Il y a une question de rentabilité très probablement, parce que les banques qui sortent sont des banques françaises, mais aussi anglaises… A ma connaissance, c’est surtout des banques de crédit au particulier. Donc, ces banques sortent, mais qu’est-ce qu’on voit arriver ? Des banques américaines. Ce qui est en train de se produire, c’est qu’avec l’évolution en cours des marchés financiers africains, il va y avoir l’explosion de ces marchés financiers, en dehors du bilan bancaire. On le voit déjà dans la zone UEMOA, où la titrisation explose depuis quelques années. Il va y avoir en fait, deux types de banques. Les banques étrangères type anglo-saxonne, comme nous avons eu dans la zone euro, qui viennent pour faire conseil et arrangeur, non pas prêteur.

Conseil et arrangeur des opérations qui vont être financées et lancées dans les marchés des capitaux. On voit que JP Morgan vient de s’installer comme par hasard en Côte d’Ivoire. On peut se demander, comment eux ils arrivent, alors que les autres partent ? A mon sens, les autres (Français, Anglais…) étaient des banques de crédit aux particuliers ou aux entreprises.  Insuffisance de rentabilité dans un contexte où arrive la régulation de Bâle III.

Donc ils s’en vont, et ouvrent la porte aux banques africaines, aux banques de la finance islamique, ce qui est tout à fait légitime. On voit partir les banques de dépôt européenne, et on voit arriver des banques d’investissement anglo-saxonnes. Et il y a maintenant une place pour les banques africaines qui sont extrêmement nombreuses.

 J’ajoute que la mise en place du référentiel de Bâle III, qui est imposé depuis 2018, va forcément provoquer une consolidation bancaire. Il y a trop de banques pour qu’elles soient rentables. Et elles sont toutes, sur la même clientèle. Celle des entreprises et des particuliers. Et les autres ne sont pas servis. Donc, comme il y a trop de banques, il est très probable qu’il va y avoir un mouvement de concentration bancaire, de manière à augmenter les fonds propres de nouveaux ensembles consolidés, et à trouver des critères de rentabilité qui n’existe pas assez aujourd’hui pour que les banques européennes qui s’en vont, restent sur place. 

Share.

Laisser un commentaireAnnuler la réponse.

Exit mobile version