Le blanchiment des capitaux est une pratique par laquelle des flux financiers issus d’activités criminelles sont intégrés dans le système économique légal afin d’en dissimuler l’origine illicite. Il est source de distorsions économiques, affaiblit le système financier, compromet la gouvernance et ralentit le développement. Ce phénomène est assez inquiétant du fait de l’évolution parallèle de l’économie informelle, de la corruption et de la faiblesse relative des mécanismes de contrôle.

D’ailleurs le rapport annuel 2022-2023 du Groupe d’action financière (GAFI) de février 2024, stipule qu’en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération, seul 1 % des produits du crime sont récupérés. De plus, le blanchiment d’argent est la troisième activité économique mondiale, avec un montant estimé à 2 000 milliards de dollars américains blanchis chaque année.

Lors de la plénière du GAFI tenue du 26 au 28 juin 2024 à Singapour, le Cameroun a été maintenu sur la liste des Etats soumis à la vigilance renforcée (liste grise) dans la zone de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (Cemac).

Par ailleurs, l’on a noté que, récemment sur 24 actions nécessaires pour sortir le pays de la liste grise du Gafi, seules 8 ont été jusqu’ici implémentées. Les 16 autres manquent à l’appel, soit seulement 40% des actions menées, dans le cadre du plan d’actions mis sur pied pour le Cameroun. C’est pour ces raisons que l’institution de Bretton Woods affirme que ces activités peuvent avoir des répercussions négatives graves.

Un fléau aux conséquences multiples

De prime abord, un niveau élevé de blanchiment d’argent pourrait entraîner la distorsion de la concurrence. Les blanchisseurs faussent les signaux du marché en injectant des ressources sans véritable logique de rentabilité dans l’économie. Ceux-ci investissent, dans des structures qui souvent opèrent à perte ou offrent des biens et services à des prix défiant toute concurrence, nuisant ainsi les entreprises concurrentes légitimes. C’est par exemple le cas dans certains secteurs où l’on observe une forte intensité de liquidité.

Les capitaux sont également détournés de leur utilisation optimale. Ces fonds qui peuvent être orientés vers des secteurs productifs comme l’agriculture, l’accès au service de base, etc. ont plutôt pour destination des activités spéculatives ou non génératives d’emplois freinant ainsi la croissance du pays.

De plus, le blanchiment d’argent peut entraîner une déstabilisation du système financier et une perte de confiance. Car le système bancaire peut être un canal, par le biais des transferts internationaux, des dépôts, etc… Ce qui expose ce secteur à des sanctions internationales et des pertes de confiance des investisseurs et partenaires. Le fait que les banques ne soient pas suffisamment vigilantes face à ce fléau, fragiliserait leurs relations avec les banques correspondantes, impliquant une réduction de l’intermédiation financière et les flux de capitaux internationaux. Cette vulnérabilité du secteur bancaire favoriserait également l’accroissement de l’instabilité financière.

Pour ce qui est des institutions, le blanchiment d’argent renforcerait les pratiques de corruption. Il rendrait les politiques publiques moins efficaces, et par ricochet favorise la mal gouvernance.  Les actions menées par les blanchisseurs pourraient également affaiblir la mobilisation des recettes fiscales. En d’autres termes, les transactions dissimulées échapperaient non seulement au contrôle de l’administration fiscale mais aussi, diminueraient les ressources publiques disponibles relatives au financement du développement.

Enfin, le blanchiment minerait la confiance des citoyens dans les institutions et perpétuerait une perception négative de l’État, parfois vu comme complice ou moins efficace dans la lutte contre les crimes économiques. Bien qu’en juin 2023, le Cameroun se soit engagé politiquement à travailler avec le Gafi et le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique Centrale (Gabac) pour renforcer l’efficacité de son régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) ; plusieurs actions doivent encore être menées par le gouvernement pour y faire face.  

La lutte contre ce phénomène implique de combiner, le renforcement des dispositifs juridiques, des institutions de contrôle, la coopération internationale et la sensibilisation des acteurs économiques. Cette lutte doit être considérée comme un pilier central de toute stratégie de développement économique durable au Cameroun.

Michelle Josée Ekila, Economiste en Histoire, Institutions et Développement

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