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Taste power et découvrabilité : Comment positionner les cuisines africaines sur internet

(Leconomie.info) - Les cuisines africaines sont en pleine expansion ces dernières années. Elles souffrent cependant encore de nombreux clichés, d’un déficit de normes et de codification, mais aussi et surtout d’une absence de marque de goût, en particulier dans les médias et sur les réseaux sociaux. Partant de ces constats, le gastrostratège (stratège de l’alimentation, y compris du médicament) se demande alors comment accroître la visibilité des contenus sur les cuisines africaines de façon à les rendre découvrables sur internet, c’est-à-dire facilement accessibles pour le plus grand nombre.

Tout d’abord, il faut nécessairement postuler un changement de paradigme qui passe, entre autres, par la théorisation et la conceptualisation. De fait, les défis qui incombent aux États africains dans ce secteur résident, plus que toute autre chose, dans leur capacité à proposer des modèles scientifiques disruptifs pour faire face au dilettantisme qui règne par exemple dans la patrimonialisation des biens culturels immatériels. L’idée est d’amener les cuisines ethniques à s’arrimer aux standards internationaux afin qu’elles puissent rencontrer un écho favorable dans les médias globaux et trouver une place de choix dans les assiettes du monde. Car, au-delà des rentrées de devises et du développement socioéconomique, il faut y voir des enjeux de taste power. Le taste power peut se définir comme l’influence directe ou indirecte qui s’opère par le goût, à travers les spécialités alimentaires, culinaires et hydriques. En ce sens, il vise, par une approche haptique, à toucher les cinq sens, mais aussi le ventre, le cœur et l’esprit.

L’une des choses à faire, parmi tant d’autres, serait de positionner les cuisines africaines dans l’écosystème numérique et, dans le même temps, de déconstruire les assignations qui les relaient au second rang. Compétitivité, e-réputation, recherche scientifique, influence et e-tourisme doivent, dès lors, en être les maîtres-mots. Pour mener efficacement ce marketing numérique, il faudrait appliquer la méthode de découvrabilité nom-définition-image (NDI) à la production et la diffusion des contenus. Pour rappel, la découvrabilité est une stratégie de communication qui vise à faciliter l’accès aux informations, produits et services dans l’univers numérique.

Le nom

Il faut appeler les mandawa, les mandawa. Par ce calque d’une locution bien connue, il faut comprendre l’importance d’attribuer à chaque spécialité alimentaire et culinaire le gastronyme qui lui convient et qui lui revient de droit. En effet, les mandawa sont une spécialité kanouri, qui vient du mot màndàá, c’est-à-dire salé ou, pour être plus exact, saumuré. Ils désignent des arachides saumurées, séchées, grillées dans un bain de sable et généralement dépulpées. Au regard des savoirs et savoir-faire patrimoniaux relatifs à cette croustille, on préconisera toujours l’utilisation du gastronyme mandawa, à la place d’«arachides grillées », cette dernière expression jugée peu précise, peu valorisante et peu stratégique.

Le choix d’une telle posture tient à au moins deux raisons plus ou moins liées à la théorie de la trace nominale qui suggère, en tant que stratégie d’influence linguistique, de marquer d’un référent onomastique le temps et l’espace. Alors, non seulement cela participe à la vulgarisation de la gastrodiversité, mais en plus, cela promeut les langues ethniques d’un pays. L’objectif affiché sur le long terme est celui d’influer sur les langues étrangères parlées ou non sur le continent africain. Il s’agit là, pour l’avouer clairement, de pratiquer à dose homéopathique une géopolitique des langues. Mais pour envisager un impact considérable, il faudrait standardiser l’orthographe des gastronymes selon une méthode qu’on aura préalablement définie. Cette démarche va optimiser le référencement naturel.

Privilégier les gastronymes issues des langues ethniques suppose le recours absolu à la gastronymie, la science qui a pour étude les noms des aliments et des médicaments. Un contenu sur les cuisines africaines qui fournit de temps à autre des informations sur l’origine étymologique et lexicologique sera considéré plus riche.

La description

L’okok et le hikok ont trois acceptions selon qu’ils renvoient à une spécialité alimentaire ou une spécialité culinaire. Ces nuances, pourtant fort utiles à comprendre, sont souvent inconnues des Camerounais, a fortiori des étrangers ; d’où la nécessité d’une définition claire pour lever toute équivoque. Aussi convient-il de savoir que l’okok est une spécialité de l’ethnie éton alors que le hikok est, lui, une spécialité de l’ethnie bassaa.

Quand il s’agit de la spécialité alimentaire, l’okok et le hikok sont identiques, parce qu’ils correspondent à un et même légume-feuille, dont le nom scientifique est Gnetum africanum/bucholzianum. À l’opposé, lorsque l’on a affaire à la spécialité culinaire, l’okok et le hikok sont différents. L’okok est une sauce sucrée à base de légume-feuille d’okok cuit avec de la pâte d’arachide grillée dans du jus de noix de palme à la banane-plantain mûre ; tandis que le hikok, pour sa part, est une sauce salée à base de légume-feuille de hikok, d’huile de palme, de jus de noix de palme, de pâte d’arachide grillée et, éventuellement, du poisson ou de la viande. Cette brève clarification vise à démontrer qu’il est capital de bien définir les éléments culturels.

Pour aller plus loin, essayons de définir les quatre spécialités culinaires suivantes : le ndolè du Cameroun, le dzom de la Guinée Équatoriale, le babenda du Burkina Faso et le mufete de l’Angola.

 Le ndolè est une sauce de légume-feuille à base de ndolè cuit dans une pâte d’arachide crue trempée ou pochée, et parfois agrémentée, à la fin, d’une tadka d’oignions et/ou de crevettes. Le dzom, lui, est une papillote végétale, qui se présente souvent en aumônière, contenant un ragoût aromatisé de viande ou de poisson. Le babenda, quant à lui, est une sauce à base d’un ou plusieurs légumes-feuilles (amarante, oseille de Guinée, cornille, cléome), de poudre d’arachide crue et, éventuellement, de potasse auxquels est ajoutée une céréale concassée de sorgho, de maïs ou de riz. Et le mufete, pour terminer, est un plat composé de poisson grillé, généralement la carpe, de haricot cuit à l’huile de palme, de morceaux de banane-plantain, de patate douce et de manioc cuits à l’eau ou à la vapeur.

Une bonne définition doit pouvoir prendre en compte le gastronyme, les ingrédients, les techniques, la perception, les accompagnements et, éventuellement, le service. Pour ce faire, le recours au vocabulaire culinaire est fortement recommandé, tout comme l’ingéniosité doit prévaloir pour apporter des innovations linguistiques quand cela est nécessaire. C’est en cela que « bain de sable », « papillote végétale », « légume-feuille » ou « tadka d’oignions et/ou de crevettes » trouvent, dans le cas d’espèce, toute leur pertinence.

L’image

Les images jouent un rôle important dans la diffusion des informations. Elles fournissent des indices visuels et/ou sonores qui aident de se faire une idée bien plus précise sur une personne ou une chose. On peut connaître une spécialité à partir d’un gastronyme sans l’avoir jamais vu tout comme on peut avoir déjà vu une spécialité sans en connaître le gastronyme. Associer une image à une spécialité alimentaire ou culinaire peut donc aider à mieux l’identifier et, même, à la distinguer d’une autre.

Le nom et la description, mis ensemble ou non, constituent un trait d’union vers l’image, qu’elle soit mobile ou pas. Admettons qu’on ait décidé de présenter, dans un article, 5 papillotes végétales du Cameroun, à savoir : le bobolo, le miondo, le nnam owondo, le koki et le ndomba. Pour être sûr de se faire comprendre de la majorité de ses lecteurs, on gagnerait à fournir, pour chaque spécialité, une photographie, par exemple. Mais, étant donné que les trois dernières sont susceptibles d’être confondues parce qu’elles se ressemblent parfois, on choisira, par la suite, de les présenter débarrassées de leurs emballages pour qu’elles soient mieux distinguées. Par ailleurs, on doit être capable, en produisant ce contenu, de se mettre à la place de tout internaute qui cherchera des informations y relatives. Cette projection motivera, dès lors, le choix des mots-clés pour nommer l’image, adjoindre un descriptif à la balise Alt et fournir une légende à l’image. Ces données s’avèreront essentielles pour les moteurs de recherche.

Plus une image est de bonne qualité, plus la spécialité qu’elle présente est valorisée. De ce point de vue, les images professionnelles sont à privilégier dans le processus de création d’une marque gustative. La photographie culinaire est un art de la séduction dont les techniques doivent être maîtrisées à la perfection.

Seul le taste power peut permettre aux cuisines africaines de côtoyer, voire de tutoyer les cuisines occidentales sur les tables du monde. Pour mieux vulgariser le narratif culinaire du continent africain sur internet, il faut apprendre à produire des contenus en prenant appui sur les trois piliers de la découvrabilité qui suivent : un gastronyme standardisé, une définition claire et une image riche. Cette méthode peut s’étendre à tout autre élément culturel, outre les spécialités culinaires.

Téguia Bogni

Chargé de recherche

Centre National d’Éducation/Ministère de Recherche Scientifique et de l’Innovation du Cameroun.

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