Vous organisez du 10 au 11 avril prochain un colloque sur les opportunités de restructuration des dettes souveraines en zone CEMAC. Qu’est ce qui a motivé le choix de ce thème ?
L’organisation d’un colloque sur les opportunités de restructuration des dettes souveraines en zone Cemac répond à plusieurs motivations cruciales, liées aux défis économiques et financiers auxquels la sous-région est confrontée à savoir :
– Gestion de l’endettement croissant : la dette des pays de la CEMAC s’est accrue de manière significative ces dernières années, notamment en raison des chocs économiques mondiaux (pandémie COVID-19, fluctuations des prix des matières premières). On pourrait aussi évoquer les enjeux de développement et les crises internes. A ce titre, l’organisation d’un colloque permet d’examiner en profondeur avec froideur les causes de cet endettement et d’explorer des solutions pour le rendre plus soutenable.
– Prévention d’une crise de la dette : nous connaissons tous les conséquences de la crise d’endettement des années 80 : compression des effectifs dans la fonction publique, réduction des salaires des agents de l’Etat, privatisation des entreprises, détérioration des conditions de vie des population (hausse de la pauvreté et des inégalités), etc. En d’autres termes, une dette souveraine excessive peut être source de crise financière ou de crise économique. Par conséquent l’organisation de telles assises vise à identifier les risques de crise et à proposer des stratégies de prévention notamment par la restructuration de la dette.
– Recherche de solutions appropriées : le colloque offre une plateforme pour échanger sur les « Best pratices » et les options de restructuration adaptées au contexte sous-régional.
– Renforcement de la coopération régionale : durant ces assises nous allons revenir sur les stratégies communes à mettre en place ou à renforcer pour éviter le pire à l’économie sous-régionale
– Promotion de la stabilité économique et financière : une bonne gestion de la dette est essentielle pour garantir la stabilité économique et financière de la sous-région.
Vous annoncez de grands noms de la finance africaine et régionale à cette rencontre. Quel objectif recherchez-vous au terme du colloque ?
L’objectif principal de ce type d’évènement est de réunir des experts, des décideurs politiques et des représentants des institutions financières pour discuter et proposer des solutions concrètes afin de gérer et de restructurer la dette dans le but de préserver la stabilité de la région, de rassurer les investisseurs et de favoriser une croissance durable.
Quels sont les défis que soulève l’endettement souverain dans la Cemac aujourd’hui ?
Ces défis sont complexes et multidimensionnels :
– La vulnérabilité aux chocs externes : les économies de la CEMAC sont peu diversifiées et fortement dépendantes des ressources naturelles.
– La faible diversification de ces économies,
– La faible mobilisation des recettes fiscales : l’économie de la sous-région est dominée par le secteur informel, ce qui rend difficile la mobilisation des recettes fiscales)
– Le coût élevé de la dette : au regard des notations souveraines, et des crises socio-politiques, les pays de la CEMAC ont souvent accès à des financements à des taux d’intérêt élevés, ce qui alourdit le service de la dette et réduit les marges de manœuvre budgétaires.
– L’absence de transparence dans la gestion quotidienne de la dette
– L’absence d’un réel dispositif de suivi-évaluation (Monitoring) rigoureux de la dette pour garantir sa soutenabilité
– Un endettement excessif peut entraîner des coupes budgétaires dans les secteurs sociaux (santé et éducation) avec des conséquences négatives sur le développement humain.
Globalement, les défis de l’endettement souverain dans la CEMAC nécessitent une action concertée et coordonnée des Etats, des institutions régionales et des partenaires internationaux.
Dette extérieure et dette intérieure : qu’est ce qui, selon vous, devrait constituer une urgence de restructuration pour les pays de la CMAC aujourd’hui ?
Il s’agit d’une question assez complexe et la réponse dépend de plusieurs facteurs. La dette extérieure est libellée en monnaie étrangère ou devise (dollars US, Euro, etc.). Ce qui signifie qu’elle peut connaître des fluctuations à la suite d’une fluctuation du taux de change. Les conditions économiques mondiales (variations des taux d’intérêt) peuvent également avoir un impact majeur sur la dette extérieure.
La dette intérieure quant à elle a un impact à la fois sur le secteur financier national/sous-régional et l’économie réelle. S’agissant du secteur financier, il est important de souligner que la dette intérieure est généralement détenue par les banques, les compagnies d’assurance, d’autres institutions financières locales et des particuliers. En ce qui concerne l’économie réelle, il faut dire que la dette intérieure peut engendrer une hausse des taux d’intérêt et réduire/limiter les ressources disponibles pour l’investissement privé (on parle généralement d’éviction du secteur privé) avec des conséquences négatives sur la croissance économique.
En réalité, l’urgence est la restructuration de la dette des pays de la CEMAC car il faut garantir sa soutenabilité et rassurer les investisseurs. S’agissant du type de dette à restructurer, le choix reviendra aux différents pays en fonction des risques spécifiques. Si le poids de l’endettement intérieur menace la stabilité du secteur financier, alors cette dernière devient prioritaire. Si le pays est fortement exposé aux fluctuations des taux de change alors la dette extérieure peut être une priorité. Autrement dit, les pays de la CEMAC doivent évaluer leur situation spécifique et adopter une approche équilibrée de la gestion de la dette.
Depuis 2011, le marché régional des titres publics a grandement soutenu le financement des Etats. Aujourd’hui, ce marché fait face à de nombreux défis dont la menace de la stabilité du système financier régional. Selon vous, comment sommes-nous parvenus à cette situation ?
L’information étant un bien économique, cette situation peut être justifiée par l’asymétrie d’information (certains acteurs du marché n’ont pas toujours l’information parfaite et complète). On pourrait aussi évoquer le comportement des acteurs du marché et les problèmes de gouvernance au sein de nos Etats.
Quelles sont quelques options de restructuration qui pourraient sauver les pays de la CEMAC de risques de défaillances ?
Il existe plusieurs options pour alléger le fardeau de la dette, améliorer la soutenabilité budgétaire et rétablir la confiance des investisseurs. Pour ce qui est de la dette extérieure :
– La renégociation des conditions avec les partenaires multilatéraux ou bilatéraux. Cela peut inclure la réduction des taux d’intérêt, l’allongement des échéances de remboursement ou la réduction du principal de la dette.
– Les échanges de dette : ici, on peut recourir aux instruments innovants tels que les obligations liées aux objectifs de développement durable (ODD) [obligations vertes (protection de la biodiversité contre un new money)]. Cette approche peut être conseillée aux pays de la CEMAC qui font partie du bassin du Congo.
– L’allègement de la dette par les institutions internationales (approche déjà utilisée). Les pays de la CEMAC peuvent aussi recourir aux prêts concessionnels (solution préconisée lors du sommet extraordinaire des Chefs d’Etat du 16 décembre 2024)
Pour la dette intérieure, il faut recourir à une gestion active de la dette pour réduire les coûts de financement et allonger les échéances ; l’émission d’obligations de long terme et à la diversification des investisseurs ; et aux rachats d’anciennes obligations.
Comme mesures complémentaires, il faudrait renforcer les mécanismes de surveillance multilatérale ; renforcer la gouvernance dans la gestion des finances publiques dans nos différents Etats ; et enfin procéder au renforcement des capacités de la COBAC et la COSUMAF pour accroître la transparence sur le marché des titres