Remboursement de la dette intérieure par emprunt auprès des investisseurs internationaux : échec ou succès, impact sur l’économie et l’industrie bancaire
Faisant suite au décret N°2024/309 du 22 Juillet 2024 de S.E.M. Paul BIYA, Président de la République du Cameroun, habilitant le Ministre des Finances Monsieur Louis Paul MOTAZE à « recourir à des emprunts sur les marchés financiers domestiques et internationaux, pour des montants respectifs de deux cent quatre-vingt (280) milliards de francs CFA et trois cent trente-six (336) milliards de francs CFA, destinés au financement des projets de développement inscrits dans la loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2024 et à l’apurement des restes à payer.-», soit un total de 616 milliards de FCFA, l’on a appris du Ministre des Finances par communiqué de presse N°24/00000960/MINFI/CAB du 31 Juillet 2024, que « l’État du Cameroun a émis avec succès et à des conditions favorables un emprunt d’un montant de 550 millions de dollars USD, soit environ 335 milliards de FCFA auprès des investisseurs internationaux ». Des ressources qui « permettront de poursuivre de manière significative l’apurement de la dette intérieure afin de stimuler les activités des PME, consolider la croissance de l’économie, renforcer la confiance du secteur privé vis-à-vis de l’État et améliorer le climat des affaires ». Si cette émission rassure davantage de ce que le Cameroun est aujourd’hui embrigadé dans la trappe de la dette par ce cycle de l’endettement perpétuel, il est important de se demander également si cette émission a été réellement un succès ou un échec et quel serait son impact sur l’économie nationale et l’industrie bancaire ?
L’ordonnance N°2024/001 du 20 juin 2024, de S.E.M. Paul BIYA, « modifiant et complétant certaines dispositions de la loi N°2023/019 du 19 décembre 2023 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2024 », à son ARTICLE SOIXANTE DIX-HUITIÈME (nouveau) signifie à ses trois (03) alinéas que :
(1) Au cours de l’exercice 2024, le Gouvernement est habilité à recourir aux emprunts sur les marchés financiers et bancaires intérieurs et extérieurs, pour des besoins de financement des projets de développement, et l’apurement des restes à payer, pour un montant maximum de F.CFA 747 milliards.
(2) Le plafond des emprunts à mobiliser sur le marché financier intérieur, notamment par émission de titres publics, est fixé à F.CFA 280 milliards, destinés au financement des projets de développement.
(3) Le plafond des ressources à mobiliser sur les marchés bancaires extérieurs, est fixé à F.CFA 467 milliards, destinés à l’apurement des restes à payer.
On constate alors quel était le vrai objectif de cet émission (467 milliards de FCFA) qui aurait pu être atteint si et seulement s’il y’avait eu sursouscription (plus ou moins 150%), signe de succès en général de ce type d’opération, signifiant alors la confiance inébranlable des investisseurs en l’Etat du Cameroun, par l’obtention d’une offre au-dessus de la demande initiale. Un signe positif faisant du Cameroun un risque sûr et attrayant, élément crucial dans le succès d’un emprunt international. Mais nous avons réalisé un score sensiblement proche de 100% soit exactement 99,7%, preuve que quelques partenaires financiers traditionnels à l’international, sont encore fidèles au leadership actuel mais ne lui font pas entièrement confiance. Voilà pourquoi ce résultat semble plus être un succès factice s’apparentant à un échec que le succès qu’a déclaré notre patron le Ministre des Finances.
C’est davantage un échec car l’emprunt obtenu est inférieur de 26 milliards de FCFA à la valeur des restes à payer de plus de 03 mois de la dette intérieure (Objectif de l’emprunt), soient 361 milliards de FCFA suivant la « Note de conjoncture mensuelle de la dette publique du Cameroun N°06/24 Juin 2024 du 19 Juillet 2024 », rendue publique par la Caisse Autonome d’Amortissement du Cameroun (CAA). C’est ainsi un stress financier de 26 milliards de FCFA de plus, qui est de nouveau transféré chez les investisseurs nationaux en augmentation des 280 milliards de FCFA attendu d’eux au titre du financement des projets de développement, ce, bien évidemment si le gouvernement tient vraiment à apurer entièrement ces restes à payer de plus de 03 mois de la dette intérieure.
Notant que cet emprunt obtenu ne représente que 8,43% de la dette intérieure estimée en fin Juin 2024 à 3 972 milliards de FCFA, en augmentation de 9,21% de la dette intérieure de fin Décembre 2023, on est en droit de se demander quel sera l’impact de cet apurement sur l’économie nationale et l’industrie bancaire qui a entre autres pour mission d’accompagner les agents économiques dans la production des richesses, donc l’accroissement de notre PIB. D’autant plus que, la dette intérieure (des entreprises publiques) auprès du système bancaire est évaluée à 347 milliards de FCFA en fin Juin 2024 et que suivant le principe de compte unique du trésor de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques, on ne peut pas être convaincu que cet emprunt servira exclusivement à l’objectif qui lui a été assigné au départ, donc si on n’a pas connaissance des postes de dépenses spécifiques et leurs montants respectifs rattachés à cet emprunt, on ne saura évaluer nettement l’impact de cet emprunt. En une phrase, à quoi servira exactement cet argent ?
Le remboursement de 8,43% de la dette intérieure d’un État en situation d’endettement perpétuel peut avoir un impact positif en réduisant légèrement le fardeau de la dette. Cependant, si ce montant est inférieur à la dette intérieure portée par les entreprises publiques auprès du système bancaire, cela peut ne pas suffire à résoudre le problème de l’endettement global de l’État. Il est essentiel de mettre en œuvre des mesures plus larges et durables pour gérer efficacement la dette publique et éviter une escalade de l’endettement. Cela pourrait inclure des réformes fiscales comme nous le vivons depuis peu avec l’élargissement de l’assiette fiscale ; des politiques budgétaires plus strictes en baissant par exemple le train de vie de l’Etat ; ou des initiatives pour stimuler la croissance économique et augmenter les recettes publiques.
La situation d’endettement perpétuel du Cameroun aujourd’hui pourrait se justifier par la stagnation de son économie et des problèmes structurels dans son système national de production de revenus (Inégalités économiques ; système fiscal inefficace/injuste; Corruption ; Infrastructures inadéquates ; Dépendance à une seule source de revenus si non une infime minorité). L’absence de croissance significative de l’économie ou l’insuffisance des revenus du gouvernement à couvrir ses dépenses, l’entraîne à recourir constamment à l’endettement pour combler le déficit budgétaire. Cette situation peut avoir plusieurs conséquences négatives, notamment :
1. L’augmentation de la charge de la dette : Plus l’État s’endette pour rembourser ses dettes antérieures, plus la charge de la dette augmente, ce qui peut finir par absorber une part importante du budget national.
2. La dépendance accrue aux créanciers : L’État peut devenir de plus en plus dépendant des prêteurs pour financer ses opérations courantes, ce qui limite sa souveraineté financière et peut entraîner des conditions de prêt défavorables. On comprend aisément pourquoi le Ministre des finances a tenu à échanger avec les agences de notation sur les perspectives économiques et l’attractivité du Cameroun après la clôture de la récente opération d’emprunt à Londres.
3. La diminution de la confiance des investisseurs : Une dette publique élevée et en constante augmentation sans augmentation conséquente de la production nationale, peut conduire à une diminution de la confiance des investisseurs, ce qui peut se traduire par une fuite des capitaux et une dégradation de la notation souveraine.
4. L’Impact sur la croissance économique : Une dette publique élevée peut freiner la croissance économique en absorbant des ressources qui pourraient être utilisées plus efficacement ailleurs, comme les investissements dans l’éducation, la santé ou l’infrastructure.
5. Le Risque de crise financière : Une situation d’endettement excessif et perpétuel peut conduire à une crise financière si les marchés perdent confiance dans la capacité de l’État à rembourser ses dettes, ce qui pourrait déclencher une spirale négative menant à une crise économique majeure.
Il est donc crucial pour le Cameroun de prendre des mesures pour gérer sa dette de manière responsable et durable afin d’éviter ces conséquences néfastes.
Face à tout ceci, la dynamisation des projets de Partenariat Public-Privé (PPP) pourrait certainement être une stratégie efficace pour aider le Cameroun en situation d’endettement perpétuel, c’est-à-dire plus de responsabilités pour les banques. Les PPP peuvent offrir plusieurs avantages, tels que :
1. Les Investissements privés : Les PPP permettent d’attirer des investissements privés pour financer des projets d’infrastructures et de services publics, ce qui soulage la pression sur les finances publiques. Mais pour y parvenir, il faudra mettre en place un environnement juridique et politique conséquent.
2. Le Transfert de risques : Dans le cadre d’un PPP, une partie des risques liés au projet est transférée au secteur privé, ce qui peut réduire la charge qui pèse sur l’État en cas de dépassement de coûts ou de retards.
3. L’Innovation et l’efficacité : Les partenaires privés peuvent apporter leur expertise et leur innovation pour concevoir, construire et gérer les projets de manière plus efficace, ce qui peut améliorer la qualité des services tout en réduisant les coûts.
4. La Création des emplois et la stimulation économique : Les projets PPP peuvent contribuer à la création d’emplois et stimuler l’activité économique locale, ce qui peut avoir un impact positif sur le développement économique global de l’État.
Cependant, il est essentiel que les projets PPP soient mis en œuvre de manière transparente, équitable et durable pour garantir qu’ils bénéficient à long terme à l’État et à ses citoyens. Une gestion efficace des risques et une supervision adéquate sont également essentielles pour assurer le succès des projets PPP.
Le remboursement de 8,43% de la dette intérieure du Cameroun, par le gouvernement sachant que le pays est en situation d’endettement perpétuel, ressemble à la pose d’un sparadrap sur une plaie économico-financière béante. Cette action est superficielle par rapport à l’ampleur du problème de la dette.
Il faut tout de même reconnaitre que la volonté du Ministre des finances de stimuler les activités des PME, telle que déclarée dans son communiqué de presse N°24/00000960/MINFI/CAB du 31 Juillet 2024, par cet emprunt est louable, bien évidemment si le gouvernement matérialise cette promesse. Prioriser le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) a comme avantages :
1. La stimulation l’économie locale : En soutenant les PME, qui sont souvent des moteurs de l’économie locale, cela peut stimuler la croissance économique au niveau régional en favorisant la création d’emplois et le développement d’activités entrepreneuriales.
2. Encourager l’innovation : Les PME sont souvent des acteurs clés de l’innovation et de la créativité. En priorisant leur financement, cela peut encourager l’émergence de nouvelles idées, technologies et modèles d’affaires innovants.
3. Renforcer la résilience économique dont le Cameroun se vante tant : En soutenant les PME, on contribue à renforcer la diversification économique et à réduire la dépendance à quelques grands acteurs. Cela peut rendre l’économie plus résiliente face aux chocs externes.
Par Ange NGANDJO (Banquier-Consultant)