Le projet est en préparation depuis quelques années. Mais, sa concrétisation ne devrait plus tarder. Au sommet de l’Union africaine en février 2025, les dirigeants africains se sont mis d’accord pour le lancement de l’agence de notation panafricaine. Baptisée l’AFCRA, elle devrait être officiellement lancée en juin prochain.
Toutefois, son opérationnalisation et sa pérennité nourrissent des doutes et des incertitudes chez de nombreux experts, tant au niveau continental, qu’au-delà. Dans une interview exclusive accordée à L’Économie à Douala lors du séminaire sur les financements structurés, organisé par le cabinet G&M Finance, Catherine Gerst, Experte en Stratégie financière et ancienne Directrice générale de Moodys France est incrédule : « C’est un défi majeur, je ne vous le cache pas. C’est un défi majeur, que je suis curieuse de voir l’Afrique relever », lance-t-elle.
En effet, l’Union africaine et les dirigeants de plusieurs pays africains comme le Ghana, le Sénégal et la Zambie, avaient estimé à plusieurs reprises que les trois grandes agences de notation au monde, (Moody’s, Fitch et S&P Global Ratings) n’évaluent pas équitablement le risque de crédit des pays africains. Selon des données communiquées par l’UA en 2023, au moins 20 % des critères de notation des pays africains relèvent de « facteurs plutôt subjectifs », d’ordre culturel ou linguistique, sans lien avec les paramètres qui jaugent la stabilité d’une économie et cela renchérit le coût du crédit accordé à nos pays.
Faire face à l’influence internationale et sortir de sa zone de confort
Pour Catherine Gerst, l’AFCRA, pour être crédible, « doit avoir une zone d’intervention mondiale ». Ce qui implique, la mise en place de méthodologies qui ne sont pas seulement locales. En d’autres termes, l’agence de notation de l’Union africaine devra noter par exemple la dette des Etats-Unis, de la France, de la Chine, de l’Inde… Car, la notation financière ne saurait se baser sur des critères purement locaux. Selon l’Experte en Stratégie financière, « les investisseurs des marchés des capitaux sont internationaux. Ils ne sont pas locaux. Ils sont partout dans le monde. Et vous ne pouvez pas leur proposer une échelle de notation locale. Ils veulent une sorte de standardisation ».
L’ancienne Directrice générale de Moody’s France ne s’arrête pas là. Elle relève dans la foulée, « quelques contradictions », contenues dans le projet de création de l’AFCRA, qui suggèrent qu’elle sera « créée pour pouvoir tenir compte des spécificités africaines », et fonctionner selon les standards internationaux. « Les deux ne sont pas vraiment compatibles », indique Catherine Gerst, avant d’ajouter « j’attends de voir avec curiosité, quelle méthodologie ils vont mettre en place, quelles échelles de notation, quels critères de notation, pour pouvoir noter aussi bien l’Etat du Sénégal, que la France, le Brésil, les Etats Unis… »
Ce point de vue de Catherine Gerst est largement partagé par le Camerounais Emmanuel Yangam, ingénieur statisticien économiste et consultant en macro-économie. Pour lui, cette ambition de l’UA aura un faible impact pour le financement efficace des économies africaines. Comme argument, le spécialiste évoque l’influence des « géants internationaux ». Aussi, poursuit-il, « les pays africains qui souhaitent accéder au financement sur les marchés obligataires internationaux (et non du continent), sollicitent les agences qui ont une bonne réputation pour se faire noter ».
L’économiste explique dans les colonnes de l’hebdomadaire Cameroon Business Today du 20 septembre 2023 que le continent africain offre peu de place financière forte ou capable de satisfaire complètement les besoins de financement de ses pays. Un autre frein, selon lui, est que « seules les notations de crédits des trois majeurs imposent aux investisseurs internationaux la qualité des titres qu’ils peuvent acheter ou détenir ».
Pour Emmanuel Yangam, les pays africains doivent présenter un leadership uni pour plaider en faveur d’une plus grande transparence et une meilleure prise en compte du contexte du continent. « La transparence est nécessaire pour ramener de la sérénité sur la planète financière. A ce titre, les pays africains devraient penser à l’instauration d’une publicité sur les infrastructures constatées » propose Emmanuel Yangam.
Des expériences similaires qui ont fait échec
Selon Catherine Gerst, durant les 40 dernières années, les pays européens ont tenté d’établir une agence de notation paneuropéenne, visant à évaluer les actifs financiers selon les spécificités du marché régional. Ce projet, nourri par le désir de ne pas être dominé par des agences américaines, a malheureusement échoué. Les diverses initiatives, bien que prometteuses, n’ont pas réussi à prendre forme face aux réalités du marché.
Par ailleurs, la Chine, qui, il y a vingt ans, a créé Dagong, une agence de notation chinoise, qui n’a pas émergé. Initialement, Dagong a cherché à s’étendre au-delà de ses frontières, mais après deux décennies, elle a rencontré des difficultés similaires. Bien qu’elle ait commencé à évaluer des entités en dehors de la Chine, son influence internationale est restée limitée, et l’agence a finalement décidé de se recentrer sur le marché intérieur.