En marge de la célébration de ses 150 ans d’âge, le Port Autonome de Douala a organisé du 2 au 3 octobre 2025, un colloque scientifique pour commémorer son histoire et réfléchir sur les défis et opportunités pour le futur. Quatre figures empreintes de résilience ont contribué à l’ascension de ce port, incarnant le patriotisme d’un Cameroun en quête d’indépendance technique et organisationnelle.

Angélique Béatrice Touenguene, première femme Directrice des ports au Cameroun

Le premier profil, Angélique Béatrice Touenguene, 68 ans. Née le 16 octobre 1957 à Akonolinga, dans la région du Centre-Cameroun, elle est la fille d’Emmanuel Nlend, premier Directeur des Postes du Cameroun et fonctionnaire à l’Union Postale Universelle à Berne. Elle a donc grandi dans un foyer où le service public est une vocation.

Diplômée d’un DEA en Lettres Modernes de l’Université de Rouen-Mont-Saint-Aignan, elle intègre l’Office National des Ports du Cameroun (dont les actifs ont été transférés au PAD en 2011) en 1986 par une sélection rigoureuse par voie de test. Dans un port où les femmes représentaient à l’époque, « à peine 10 % des 300 employés, car fortement masculinisé », apprend-elle, elle va être affectée au département des relations intérieures et de l’information sous la direction de Gabriel Mbarga Mbarga. Béatrice Touenguene fait face à un milieu exigeant où « tous devaient faire leurs classes ensemble. Les directeurs formaient sans distinction de sexe, et nous étions appréciés sur la place portuaire », confie-t-elle, la voix empreinte de fierté. Elle gravit les échelons avec rigueur : chef de bureau, adjointe au chef de service, puis chef du service de la formation. En 1996-1998, elle devient directrice adjointe des ressources humaines, mais les femmes butent sur un plafond de verre.

En 2000, le ministre Alphonse Siyam Siwé brise ce tabou en la nommant première femme directrice de tous les ports camerounais, puis Directrice de l’Administration Générale. Cadre supérieur à la Direction Générale, elle modernise la gestion humaine, adaptant le PAD aux défis de la mondialisation et de la digitalisation des années 1990-2000. Première femme présidente du Comité des Sports et Loisirs du PAD, elle renforce le bien-être des employés. À la tête du conseil d’administration du GEPMARE, elle forme les futurs cadres maritimes. Depuis 2020, elle est là directrice générale adjointe de Camship-CLGG, où elle inaugure en novembre 2020, la première ligne de cabotage conteneurisé Kribi-Douala, un service hebdomadaire réduisant les coûts routiers et la sinistralité.

Elle prend sa retraite au PAD en 2017 après 31 ans de service. Le 2 octobre 2025, Angélique Béatrice Nlend épouse Touenguene s’émerveille des « mutations profondes » survenues au PAD sous la direction de Cyrus Ngo’o, qu’elle trouve « formidables ».

Charles René Kontelizo, pionnier de la sécurité portuaire

Charles René Kontelizo, né le 14 décembre 1948 à Dschang, est le second cas de figure. Bachelier en Mathématiques-Sciences au Lycée Joss de Douala, il obtient en 1971 une bourse pour l’École Nationale Supérieure de la Marine Marchande du Havre. En 1981, il devient le premier africain à décrocher le Brevet de Capitaine de Première Classe, une prouesse gravée aux archives du Ministère de la Mer à Paris. Officier supérieur sur pétroliers et porte-conteneurs français, il rejoint l’ONPC en janvier 1978 comme aspirant-pilote, obtenant son brevet de Pilote Qualifié la même année. À l’époque, six pilotes blancs dominent face à trois Camerounais, dont Jean Bengono Belinga et Marcus Mono Mboum, un déséquilibre qu’il juge inacceptable. 

Nommé chef du Service Contrôle Portuaire de 1984 à 1988, il cumule ses fonctions de pilote, puis devient Pilote Major de 1993 à 2002 et chef du Département Navigation en 1995, avec des intérims de commandant de port. De 2002 à 2007, il est Commandant du Port de Douala, puis premier Commandant du Port de Kribi de 2016 à 2019. Point focal du Code ISPS en 2004, il identifie des lacunes dans la surveillance et l’accès, risquant de placer les ports camerounais sur la liste rouge internationale. Il impose des mesures strictes, évitant ce sort. À Kribi, il doit bâtir de zéro les services de sécurité et les forces de l’ordre, s’inspirant du Port de Tanger Med, au Maroc.

Enseignant pour la CNUCED, il forme pilotes et officiers, plaidant pour une formation continue. « La Capitainerie, c’est le cœur du port », dit-il, insistant sur la Camerounisation, achevée en 1998, et des standards de sûreté élevés. Médaillé d’honneur en argent, vermeil et or, distingué par l’ambassadrice américaine en 2007, il dirige Maritime & Port Consulting Engineer Ltd et recevra un Doctorat Honoris Causa à Dakar en novembre 2025. Chrétien Catholique, marié et père de quatre enfants, il confie avoir « fait une carrière exceptionnelle, récompensée justement ».

Albert Nguédia bouscule les codes et booste les recettes

Albert Nguédia, lui, est né dans les années 1945. Ingénieur visionnaire et diplômé de l’ENSIIE de Paris en 1973, il rejoint l’ONPC en juillet 1974, juste après sa création par la loi de 1971. Attendu en informatique, il est redirigé vers l’exploitation pour gérer les statistiques et les défis opérationnels. Directeur de l’exploitation, de l’Informatique, du développement, de la planification des études et projets, conseiller technique, puis de la Compétitivité, il sert l’institution portuaire pendant 31 ans jusqu’en décembre 2006.

À son arrivée, le port compte 11 quais à gauche, deux à droite, et des terminaux pour Alucam et Cimencam, mais souffre de congestion en 1977 due à l’essor des conteneurs et roro. Il impose des cadences de manutention et des temps d’escale, évitant des surcoûts et gagnant les félicitations des armateurs. Le chiffre d’affaires stagne à 3 milliards FCFA avant 1994, freiné par une tarification inadaptée. Post-dévaluation, il introduit la facturation en devises, ce qui a contribué à porter le chiffre d’affaires à 40 milliards.

Il met en service le terminal à conteneurs en 1980, acquiert deux portiques en 1987 via un prêt japonais de 6 milliards de yens, rédige le règlement de police avec Boum Mono, crée les marins-pompiers formés à Marseille et Gênes, et instaure le Guichet Unique et Port Synthèse. Il a également ouvert des représentations à Yaoundé, Tchad et RCA.

Bluffé par « le PAD ultra-moderne », il propose au top management d’initier des formations en gestion commerciale, la mise en service de nouveaux terminaux pour grands navires, des liaisons ville-port fluides, et la réduction des coûts d’approche. « En 1994, la facturation en devises a décuplé nos recettes. Aujourd’hui, il faut former et investir pour rester compétitif », insiste-t-il.

Le commandant Emmanuel Matio, une trajectoire unique

Et le dernier de la liste, le commandant Emmanuel Matio, né vers 1943. Fils unique d’une mère célibataire qui l’a élevé jusqu’en classe de troisième, il lui rend un hommage vibrant : « ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce elle. Sans elle, je n’aurais jamais gravi les échelons », a-t-il confié. Introduit par une tante infirmière à la Direction des Ports et Voies Navigables, il est embauché le 2 octobre 1968 par le directeur d’alors, qui l’exhorte à travailler avec « volonté et patriotisme ». La coïncidence avec la date du colloque le frappe : « C’est trop de coïncidences. Le Seigneur trace un chemin. »

Débutant comme mousse sur la drague Garoua, il lave la vaisselle et assiste le maître d’hôtel sous des officiers blancs, dans des conditions rudes. « J’ai trouvé un travail comme ça, je ne pouvais pas m’amuser », confie-t-il, la voix teintée de résilience. Son sérieux impressionne les Européens, qui lui enseignent les bases du dragage. Promu timonier, il manœuvre la barre au cri de « bâbord » et « tribord », apprenant la rigueur maritime. Entre 1972 et 1978, il se forme au Centre d’Apprentissage Maritime d’Abidjan, alternant théorie et pratique. De retour au Cameroun, il devient le premier noir à commander la drague Garoua, brisant la domination des expatriés, puis prend la barre de la Chantal Biya en 1997 avec un équipage 100 % camerounais, un symbole de la Camerounisation.

Au Gabon, dans les années 1970-1980, il convainc Simon Ngann Yonn de lui confier le dragage du port de Vendôme et de la cimenterie, défiant les blancs sceptiques. Après trois mois de négociation, ce dernier finit par lui remettre un chèque en blanc pour mener l’ensemble de ses opérations. La mission prévue pour deux mois maximum, Emmanuel Matio va l’effectuer en un mois. Au Cameroun, il remblaie les mangroves pour créer la zone industrielle de Bonabéri, Essengue, Aquarius Marina 2000, et la base navale de la Marine Nationale. Polyvalent, il a géré pendant ses années de service au port, dragage, remorquage et balisage sur le navire Chantal Biya, qu’il avait fait venir d’Allemagne. 

En août 2024, il retrouve sur invitation du directeur actuel du PAD, Cyrus Ngo’o, la drague Chantal Biya sur rénovée au Port Harcourt (Nigeria) au quai 14 avec son ancien équipage « C’était plus que notre demeure », confie-t-il, les yeux humides, voyant en ce navire le symbole de sa vie. Âgé aujourd’hui de 82 ans, cela fait 21 ans aujourd’hui que le commandant Matio a quitté les rangs du port autonome de Douala. 

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