Le Chantier naval et industriel du Cameroun se porte mal. L’entreprise présente un tableau morose sur ses activités, avec en avant des opérations accessoires, au détriment de ses activités principales. Baisse continue du chiffre d’affaires, lourdes pertes, sont entre autres ce qui le caractérise. La Chambre des Comptes juge la situation financière de la société « préoccupante ». Dans un récent rapport sur l’examen de la gestion du CNIC, la Chambre a évalué ses pertes à 21,239 milliards FCFA entre 2015-2021. Même après, la situation n’a pas trop évolué.

Le Chantier naval avait déjà connu avant cela une baisse « spectaculaire » de son chiffre d’affaires, allant de 29,7 milliards FCFA à 10 milliards FCFA entre 2005-2015. La tendance baissière s’est poursuivie entre 2015 et 2021, avec une nouvelle baisse de 65,2% du chiffre d’affaires, qui s’élevait à seulement 3,48 milliards en 2021. Au lieu de se consacrer à ses activités de base, l’entreprise s’est plutôt liguée dans les tâches de substitution. Notamment, la location du quai de Limbé. Ces activités secondaires sont passées de 37,5% de son chiffre d’affaires en 2015 à 59,3% en 2021, d’après les données de la Chambre des Comptes. Le CNIC a par ailleurs perdu des parts de marchés sur ses métiers de base que sont les travaux de réparation marine sur docks et les travaux industriels offshores entre autres, « dont le chiffre d’affaires est passé de 3,698 milliards FCFA en 2015 à 270 millions FCFA » seulement en 2020.

Yard pétrolier de Limbé, premier au banc des accusés

Si le Chantier naval est au bord du gouffre, c’est surtout à cause de l’échec du Projet de Yard pétrolier de Limbé. Entamé en 2005 pour sa phase I, le projet affichait une avancée de seulement 60% en 2020, alors que la totalité était attendue en 2008. « Les retards de ce projet, dont la juridiction observe qu’ils relevaient de la compétence de l’État et non du CNIC au regard de la loi n° 98/021 du 24 décembre 1998 portant organisation du secteur portuaire, et les réévaluations successives de son coût prévisionnel, qui avait augmenté de 128% en 2016, sont à l’origine de l’effondrement progressif des performances commerciales et de production de la société, avec en conséquence une incapacité à assurer le service de la dette », indique le rapport.

Ce qui a obligé l’Etat « à faire jouer sa garantie en se substituant au CNIC ». Au 31 décembre 2021, l’État avait ainsi pris en charge 52,8 milliards FCFA au titre de la dette de l’entreprise publique.

Autres difficultés, le vieillissement de l’outil industriel et l’insuffisance d’investissements. « Le CNIC apparaissait dans l’incapacité de se développer sur ses métiers de base, alors même que l’environnement économique était favorable, avec une demande de services de réparation navale et de réparation de plateformes pétrolières structurellement en hausse. Les services qu’il proposait n’étaient plus attractifs ».

Les investissements se sont élevés sur la période 2015-2020 à 6,024 milliards, tandis que le programme d’acquisition et de réhabilitation des équipements de production prévoyait un effort de 17,87 milliards FCFA. Pour cause, la perte de financements internationaux et l’absence de soutien des banques. Ce qui a affaibli les ressources d’investissement.

Promesses non tenues des plans de restructuration

Pour tenter de sauver l’entreprise, les pouvoirs publics ont mis sur pied des plans de restructuration notamment en 2015-2017, puis 2016-2020. Ceux-ci ont seulement permis d’accroître les capitaux propres de 18,042 milliards FCFA et de diminuer de 60,5% les effectifs de la société, passés de 769 en 2015 à 304 en 2021. Cela n’a malheureusement pas suffi à impulser une dynamique de redressement de la société, laquelle « continuait d’être déficitaire tandis que les capitaux propres, restés négatifs entre 2015 et 2021, fragilisaient la continuité d’exploitation de l’entreprise publique ».

Le plan stratégique 2021-2025 non plus, n’a pu inverser la donne. Il a en effet été institué avec pour objectif « d’enclencher une dynamique positive avec, en particulier, une hausse substantielle du chiffre d’affaires à 17,2 milliards FCFA en 2025 et un retour à un résultat net positif à partir de 2024 ». Un exploit conditionné par « l’entrée d’un partenaire industriel de référence au capital pour relever la capacité technique du CNIC par l’obtention des certifications de son système de management ainsi que la modernisation de l’outil de production, avec l’achèvement de la phase 1 et l’exécution de la phase 2 du projet de Yard pétrolier de Limbé ». Sauf qu’au 1er février 2024, « l’atteinte des objectifs du Plan stratégique apparaissait encore lointaine », selon la Chambre des Comptes.

Ce qu’il faut

 Des recommandations ont été formulées pour sortir le Chantier naval du naufrage. Parmi lesquelles, des recommandations aux organes de gestion du CNIC. Il s’agit concrètement de proposer à l’État de signer l’avenant à la convention de rétrocession du 21 août 2015 en vue de sortir des comptes de la société les actifs du projet de Yard pétrolier de Limbé, valorisés à 66,778 milliards FCFA ; mettre en œuvre le regroupement des fonctions d’appui et de renforcement de la gouvernance du projet de Yard pétrolier afin d’améliorer substantiellement la capacité de la société à mener à bien les investissements prévus en phases 1 et 2 ; continuer à rechercher un partenaire industriel de référence susceptible d’entrer dans le capital etc.

Au ministère des Finances, il est recommandé la mobilisation en 2025, des financements prévus pour la phase 2 du projet de Yard pétrolier de Limbé « qui figurent dans la liste des projets phares de la SND 30, en vue de permettre à l’outil industriel de devenir performant et d’accroître son chiffre d’affaires ». En attendant, le Chantier naval et industriel du Cameroun reste un gouffre financier inutile.

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