La dette de la CEMAC : Qu’est-ce qui fait problème ?
Les chiffres sur la dette de la CEMAC sus évoqués permettent de comprendre que le
problème n’est pas le niveau de la dette -qui reste en deçà du plafond communautaire fixé à
70% du PIB, et en deçà des 93% du PIB pour la dette mondiale-, mais plutôt le coût de la
dette, traduit par le ratio service de la dette par rapport aux recettes budgétaires qui est 4 à 5
fois au moins celui des pays développés en France ce ratio est de 3,8% en 2024 soit 1/6 du
coût dans la CEMAC selon les données de l’INSEE au premier trimestre 2025-. Avec près
d’un quart du budget consacré au remboursement de la dette et des budgets de fonctionnement
assez élevés, les pays de la CEMAC disposent d’une marge de manœuvre très réduite pour
investir dans l’éducation, la santé, l’énergie, les infrastructures routières etc. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle, la Conférence à travers son communiqué final, mettra entre autres
l’accent sur l’engagement pour les Etats à poursuivre une politique d’endettement prudente
qui devra privilégier les financements concessionnels qui malheureusement se font rares sur
les marchés-.
Selon le dossier presse de la conférence, les Risques souverains auraient triplé en
passant de 10% du total des actifs en 2015 à 31% en 2023. Cette dégradation du risque
souverain également traduite par une dégradation de la notation financière des Etats de le CEMAC, implique une réduction de la valeur des portefeuilles d’actifs détenus par les
banques locales, et une augmentation du coût des emprunts sur les marchés financiers. Le
niveau des réserves de change, passé de 2,3 mois d’importations en 2016 à 4,6 mois
d’importations en 2023 aura connu une tendance baissière en 2024. Ce contexte est une fois
de plus assez alarmant compte tenu de la nécessité de disposer des devises pour couvrir les
importations –le standard planché étant fixé à 5 mois-, mais également pour le remboursement
des dettes libellées en devises. De plus, le taux de croissance du PIB réel situé à 2,7% en
2024, bien qu’en hausse par rapport au taux de 2% observé en 2023, reste très limité pour
générer des marges budgétaires nécessaires à une baisse notable des pressions liées au service
de la dette.
Que faire face à une dette toujours croissante ?
Plusieurs auteurs se sont penchés sur la dette publique en Afrique subsaharienne à
l’instar de Magnan-Marionnet (2016), Hooper et al. (2022), Comelli et al. (2023), etc. La
plupart des travaux ont abouti à un impact mitigé de la dette publique sur les agrégats
économiques. Globalement, le PIB, les flux de dette, les IDE et l’IDH seraient positivement
affectés à court terme, mais cet effet s’estomperait avec une dette mal gérée ; d’un autre côté,
les pays dépendant des ressources naturelles montreraient une vulnérabilité accrue aux chocs
exogènes, ce qui augmenterait le risque de surendettement -un risque également amplifié par
une diversification économique limitée. Ces constats empiriques ont ainsi conduit à la
formulation de plusieurs propositions.
Magnan-Marionnet (2016) au regard du rôle croissant des émissions de titres de dette
souveraine dans la CEMAC propose de renforcer les marchés financiers régionaux
notamment la Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale et le Douala Stock
Exchange, pour diversifier les sources de financement et réduire la dépendance aux créancier
étrangers. Hooper et al. (2022) suggèrent une coordination multilatérale accrue à travers le
cadre commun du G20 pour restructurer les dettes, une meilleure transparence sur les
emprunts adossés à des ressources naturelles comme c’est le cas avec le pétrole au Congo et
au Gabon, ainsi que des réformes fiscales pour augmenter les recettes internes. De leur côté
Comelli et al. (2023) proposent un ancrage budgétaire du ratio dette/PIB à 55% pour les pays particulièrement vulnérables comme ceux à forte dépendance au pétrole, insistent sur la
nécessité de diversifier les économies, d’engager des réformes fiscales et de réduire les
dépenses improductives. Quant à N’Guessan (2022), il propose de densifier le marché
financier de la CEMAC pour mobiliser des capitaux internes et réduire la dépendance aux
emprunts extérieurs, insiste sur le soutien aux réformes financières –le marché des titres
publics étant passé de 2,1% à 8% du PIB entre 2018 et 2022 selon la Banque de France 2024-,
et sur des investissements ciblés pour soutenir la croissance sans alourdir la dette.
Cet article en se situant dans le prolongement de toutes ces propositions qui oscillent
entre des mesures structurelles (transparence, diversification économique, etc.), et des
mesures d’urgence (coordination internationale, etc.), propose à son tour la création (dans le
moyen-long terme) d’une Agence de la Dette de l’Afrique Centrale, pour faire face aux défis
d’endettement des pays de la CEMAC.
L’Agence de la Dette de l’Afrique Centrale (ADAC)
Dans le même ordre d’idées de l’Agence Européenne de la Dette proposée par Amato
et al. (2022), et en tenant compte des spécificités institutionnelles de la CEMAC, l’ADAC
servira de levier financier et institutionnel devant donner plus de poids à la commission de la
CEMAC. Cette structure financière lèvera les fonds sur le marché international en émettant
des obligations à terme en FCFA (attractifs grâce à l’ancrage du FCFA à l’euro), et financera
la Commission de la CEMAC par des prêts perpétuels ne nécessitant que le remboursement
des intérêts et non du capital. La caractéristique de ces prêts perpétuels permettra à la
Commission de s’affranchir du risque de refinancement , et d’avoir des annuités de
remboursement qui s’affaissent dans le temps avec la croissance économique.
Par le financement de la Commission et des projets infrastructurels sous régionaux,
l’ADAC permettra la réduction du coût des investissements publics. En suivant sa politique
d’intégration sous régionale, la Commission pourra financer les Etats de la CEMAC, qui à
leur tour pourront contribuer au paiement des prêts relativement aux investissements reçus. Le
cumul des paiements sur les prêts perpétuels accordés pourront constituer des réserves
permettant de répondre à des obligations futures de l’ADAC, liées à l’émission de ses propres
obligations ou à leur renouvellement régulier dans le cadre du roulement de sa propre dette à
l’endroit des marchés. La titrisation de la dette commune effectuée par l’ADAC présentera des meilleures
garanties que les dettes nationales, et des meilleures garanties que la dette obtenue par simple
agrégation des dettes nationales dans la CEMAC. L’ADAC sera dévoué au financement des
stratégies d’intégration sous régionale et facilitera la coopération budgétaire entre les pays
dans la perspective d’un fédéralisme abouti au niveau de la CEMAC.
Pour son insertion institutionnelle dans la CEMAC, l’ADAC devra être une structure
communautaire doté d’un capital propre fourni par les Etats membres selon une pondération
qui prendra en compte le poids économique et financier de chacun ainsi que son niveau de
risque souverain. Opérationnellement, l’ADAC devra travailler harmonieusement avec les
autres institutions sous régionales (BDEAC, BEAC, Commission de la CEMAC).
Toutefois, pour une meilleure gestion des risques souverains voire des risques pays,
l’analyse des mesures engagées par les gouvernants et autorités bancaires actuelles, va dans le
sens d’avoir des perspectives de succession et des mécanismes de dévotion du pouvoir plus
lisibles à la tête des Etats , ceci afin d’éviter la panique des marchés, se traduisant par des
mesures de précaution des acteurs économiques et financiers, qui malheureusement
contribueront à aggraver la situation macroéconomique sous régionale.