D’après les données de la Banque africaine de développement (BAD), le taux de chômage des jeunes s’élève à environ 12,9 %. Ce chiffre masque le fait qu’une bonne partie de ceux-ci sont employés dans le secteur informel. Ce qui laisse paraître un besoin impératif d’outils pour la création d’emplois non traditionnels, souvent indépendants, et accessibles via des compétences techniques spécifiques, même en dehors des zones urbaines.

Personnaliser l’apprentissage

L’un des apports majeurs de l’IA est son impact sur l’éducation. En Afrique, où l’accès aux enseignants qualifiés est souvent limité, des outils d’IA permettent de personnaliser l’apprentissage. Des expérimentations comme le chabot « Rori » au Ghana ont démontré une amélioration significative des performances scolaires chez les élèves accompagnés par une IA éducative.

D’une part, on observe des initiatives publiques et privées qui émergent pour combler le déficit de compétences numériques. Lancé en 2023, le Nigéria a mis sur pied un programme 3MTT (Three Million Technical Talent) qui consiste à former 3 millions de jeunes aux technologies numériques comme l’IA, le cloud, la cybersécurité et le développement de logiciel d’ici 2027. Dans la même lancée, Microsoft a déployé la formation d’1 million de Sud-Africains sur l’IA et les compétences d’IA d’ici 2026 dans le cadre d’un plan continental plus large.  

L’ensemble de ces formations massives visent à rendre la jeunesse africaine compétitive dans un marché où les compétences numériques deviennent indispensables dans différents secteurs (agriculture, artisanat…).

D’autre part, le numérique est considéré comme un levier entrepreneurial car il favorise l’éclosion de l’entrepreneuriat jeune et technologique. En 2023 par exemple, le continent africain comptait plus de 127 hubs technologiques spécialisés dans l’IA, répartis dans les pays tels que le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Kenya. Ces écosystèmes permettent à des jeunes innovateurs de lancer des startups dans des domaines porteurs tels que la fintech, l’agritech,  et la santé numérique.

Ce qui sort certains jeunes de la classe de demandeur d’emploi, pour celle de créateurs de solutions adaptées aux réalités locales, comme des plates-formes d’E-commerce rural, des systèmes de diagnostic médical à distance ou des applications de conseil agricole.

Optimiser les rendements dans le secteur agricole

Tout d’abord, l’agriculture représente le principal secteur d’activité en Afrique car, elle emploie plus de 60% de la population active dans bon nombre de pays. L’IA à travers ses outils vient donc optimiser les rendements par la détection précoce des maladies, les prévisions climatiques et la planification des récoltes. Par ailleurs, des applications mobiles souvent développées par des jeunes proposent désormais ces services aux petits exploitants agricoles, leur permettant de gagner en productivité et en autonomie.

C’est le cas de la startup « AgricFresh Sarl » créée par le jeune camerounais Afopezi Anua-Gueleh Moses. Son projet vise à résoudre les problèmes de courte durée de conservation, de gaspillage alimentaire et d’accès limité au marché des agriculteurs. Sa solution repose sur des stockages frigorifiques solaires connectées à l’Iot, conçues pour prolonger la durée de vie des tomates de 5 à 21 jours ou plus.

Ensuite, l’IA est utilisée pour pallier le manque de personnel de santé. Des solutions de diagnostic par imagerie, de télémédecine, et bien d’autres permettent un accès élargi aux soins, notamment dans les zones rurales. Des jeunes formés au numérique peuvent ainsi intervenir comme des techniciens de télémédecine, des développeurs de solutions de santé.

On a par exemple le cas d’un autre jeune camerounais, Abdoul Azis, promoteur de la startup « ANORA ». Sa solution innovante de dépistage précoce du cancer du sein spécialement conçue pour l’Afrique, vise à transformer l’accès aux diagnostic précoce grâce à l’IA et aux technologies de nouvelles générations. De plus, son homologue Manfred Asah Agha titulaire de la startup « IEGB » dont le projet « Intelligent Eye Glass for Blind » fournit une solution technologique permettant aux personnes aveugles d’interagir avec leur environnement (se déplacer sans heurter d’obstacles et à manipuler leurs téléphones par commande vocale grâce un système intégré).

Enfin, l’essor des technologies financières fondées sur l’IA a ouvert la voie à une meilleure inclusion financière. Des start-ups dirigées par des jeunes proposent des services de crédit automatisé, d’épargne mobile ou de gestion budgétaire. Ces solutions permettent à des millions de personnes, souvent non bancarisées, d’accéder à des services financiers auparavant inaccessibles.

C’est par exemple le cas de Jenny Ambukiyenyi Onya, pour qui l’IA est un formidable outil pour transformer le bétail des éleveuses africaines en source de financement, un chemin de terre au Kenya.  Sa solution, « Halisi Livestock », fonctionne comme la reconnaissance faciale pour les humains. « Avec un simple smartphone, un agent de crédit peut prendre une photo du visage d’une vache. Grâce à des algorithmes de reconnaissance biométrique, notre IA analyse les traits uniques de chaque animal et génère une identité numérique infalsifiable », explique-t-elle. Malgré ces multiples efforts, les pays de la région restent confrontés à de nombreuses limites.

Difficultés d’accès à internet

Malgré ce potentiel, plusieurs obstacles structurels se caractérisent par des inégalités d’accès et limitent le rôle de l’IA. D’ailleurs, seuls 37 % d’Africains ont régulièrement accès à Internet malgré la couverture mobile 4G. Cette inégalité est également observée dans l’accès à l’électricité et autres infrastructures.

En outre, un cadre juridique presque absent dans l’encadrement de l’usage de l’IA est un réel défi dans les aspects sécuritaires des données, qui sont entre autres des domaines dans lesquels les États africains doivent encore se structurer.

L’IA et les compétences numériques doivent être considérées comme de véritables catalyseurs de l’autonomisation des jeunes en Afrique. Mais, leur éclosion dépend des investissements massifs dans l’infrastructure, l’éducation, l’accès équitable et la gouvernance numérique. C’est l’occasion pour le continent africain de renforcer la formation des jeunes leaders numériques capables non seulement de faire bon usage des technologies, mais aussi de les créer, les adapter pour le développement local et continental.

Michelle Josée Ekila, Economiste en Histoire, Institutions et Développement

Share.
Leave A Reply Cancel Reply
Exit mobile version