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Suspension du Cameroun de l’ITIE: Quelles conséquences pour l’économie nationale ?

(Leconomie.info) - Lire la tribune de Ange Ngandjo, banquier, consultant

« Le pays au bord du gouffre : suite à sa suspension de l’ITIE après inscription sur la liste grise du Gafi, quelles conséquences pour l’économie nationale ? »

L’ITIE (Initiative pour la Transparence des Industries Extractives) qui est une coalition de gouvernements, d’entreprises et de groupes de la société civile qui promeut la transparence dans les revenus provenant des ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz et les minéraux, avec pour  objectif de prévenir la corruption et de promouvoir un développement durable grâce à la gestion responsable des ressources naturelles, a le 1er Mars 2024 suspendu le Cameroun de son processus « jusqu’à sa prochaine validation », ceci huit mois après que le Cameroun ait été inscrit sur la liste grise du GAFI (Groupe d’Action Financière) le23 Juin 2023. Une situation qui attriste la communauté des investisseurs locaux et internationaux intéressés par  la destination Cameroun. 

Quelles sont les avantages multiples pour un pays d’être membre ITIE ?

Être membre de l’ITIE présente plusieurs avantages pour un pays. Tout d’abord, cela renforce la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources naturelles, ce qui peut contribuer à réduire la corruption et à améliorer la gouvernance. Ensuite, l’adhésion à l’ITIE peut aider à renforcer la confiance des investisseurs, car cela montre l’engagement du pays envers la transparence et la bonne gouvernance. De plus, en participant à l’ITIE, les pays peuvent bénéficier de conseils et de bonnes pratiques pour gérer efficacement leurs ressources naturelles, ce qui peut favoriser un développement économique durable. Enfin, l’adhésion à l’ITIE peut également contribuer à améliorer la gestion des revenus provenant des ressources naturelles, en veillant à ce qu’ils profitent au développement économique et social du pays, surtout en ce moment où le Cameroun travaille à être un pays émergent à l’horizon 2035 et a besoin de ressources internes et externes pour financer son vaste programme d’infrastructures productives autour duquel s’articule sa SND 30 (Stratégie Nationale de développement 2020-2030).

En tant que membre de l’ITIE, un pays a également accès à des mécanismes de soutien technique et financier pour renforcer sa capacité à mettre en œuvre les normes de l’ITIE. Cela peut inclure des formations, des ressources techniques et un soutien financier pour la collecte et la publication des données sur les revenus provenant des ressources naturelles. De plus, en participant aux processus de l’ITIE, les pays ont l’occasion de dialoguer avec d’autres acteurs du secteur des ressources naturelles, ce qui peut favoriser la collaboration et l’échange de bonnes pratiques. En fin de compte, l’adhésion à l’ITIE peut aider un pays à renforcer sa réputation sur la scène internationale en démontrant son engagement envers la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources naturelles, gage d’attractivité des investisseurs « sérieux » et non des gangsters.

Quels sont les inconvénients pour un pays de ne pas être membre de l’ITIE?

Le fait de ne pas être membre de l’ITIE peut présenter plusieurs inconvénients pour un pays :

1. Manque de transparence : Sans adhésion à l’ITIE, un pays peut manquer de normes et de mécanismes clairs pour assurer la transparence des revenus provenant des ressources naturelles, ce qui peut conduire à une opacité et à des risques accrus de corruption. Cette corruption que le Cameroun s’efforce à combattre, bien que les résultats ne soient pas excellents mais intéressants, il faut reconnaitre que le pays est parti de la situation de pays le plus corrompu au monde en 1999 à celle de  34e position en Afrique et 140e place mondiale parmi 180 États évalués selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2023, récemment publié par Transparency International le 30 janvier 2024. Ceci après que le pays ait pris un ensemble de résolutions parmi lesquelles l’entrée du Cameroun en 2007 à l’ITIE, même s’il est regrettable que durant ces 17 années, du fait du laxisme nous y avons été suspendu 02 fois notamment le 1er avril 2021 suite au retard accusé par le pays dans la publication de son rapport 2018 et le 1er Mars 2024 pour « progrès insuffisants dans l’engagement de la société civile et de contraintes imposées par le gouvernement sur la liberté d’expression et la liberté d’association de la société civile ».

2. Perte de confiance des investisseurs : Le non-respect des normes internationales en matière de transparence dans le secteur des ressources naturelles peut dissuader les investisseurs internationaux, ce qui pourrait limiter les opportunités d’investissement et de développement économique, dont le pays a fortement besoin actuellement.

3. Risques accrus de mauvaise gestion des ressources naturelles : Sans les mécanismes et les conseils fournis par l’ITIE, un pays pourrait être plus exposé à une mauvaise gestion des revenus provenant des ressources naturelles, ce qui pourrait compromettre le développement économique et social.

4. Isolement international : En ne rejoignant pas l’ITIE, un pays risque de s’isoler sur la scène internationale en ne participant pas aux efforts mondiaux visant à promouvoir la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources naturelles.

5. Manque d’accès aux opportunités de renforcement des capacités : Les pays non membres de l’ITIE pourraient manquer d’accès aux ressources techniques et financières fournies par l’ITIE pour renforcer leurs capacités en matière de gestion transparente des revenus provenant des ressources naturelles.

Il est important de noter que ces inconvénients peuvent varier en fonction du contexte spécifique de chaque pays et de son secteur des ressources naturelles.

Quel peut être l’impact pour un pays d’être simultanément suspendu de l’ITIE et être enregistré sur la liste grise du GAFI ?

Être simultanément suspendu de l’ITIE et être enregistré sur la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) peut avoir de graves répercussions pour un pays.

D’une part, la suspension de l’ITIE indique un manquement aux normes de transparence et de responsabilité dans la gestion des revenus provenant des ressources naturelles, ce qui peut compromettre la confiance des investisseurs et des partenaires internationaux. Cela peut également entraîner une réduction de l’aide financière et du soutien technique provenant d’organisations internationales. D’autre part, être enregistré sur la liste grise du GAFI indique que le pays présente des lacunes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ce qui peut entraîner des conséquences économiques importantes. Les institutions financières internationales peuvent imposer des restrictions sur les transactions impliquant ce pays, ce qui nuit à son intégration dans l’économie mondiale. En fin de compte, être simultanément suspendu de l’ITIE et être enregistré sur la liste grise du GAFI peut avoir un impact négatif sur la réputation du pays, sa capacité à attirer des investissements et son intégration dans les marchés financiers internationaux. Cela peut également entraver son développement économique et social global.

En plus des conséquences mentionnées précédemment, être simultanément suspendu de l’ITIE et être enregistré sur la liste grise du GAFI peut également entraîner une augmentation des coûts de financement pour le pays. Les investisseurs et les institutions financières pourraient exiger des primes de risque plus élevées ou refuser de prêter de l’argent au pays, ce qui rendrait plus difficile pour le gouvernement de financer des projets de développement et d’infrastructures. De plus, cette situation peut également nuire aux relations diplomatiques du pays avec d’autres nations et organisations internationales. La réputation d’un pays en matière de transparence, de lutte contre la corruption et de conformité aux normes internationales et nationales peut influencer ses relations bilatérales et sa participation à des accords commerciaux et économiques.

En somme, être simultanément suspendu de l’ITIE et être enregistré sur la liste grise du GAFI peut avoir un impact significatif sur la stabilité économique, la réputation internationale et les opportunités de croissance d’un pays. Un danger pour la jeunesse camerounaise en quête d’opportunités d’emplois formels que fournissent les investisseurs via les projets structurants auxquels ils participent.  

Quels conseils peut-on donner sur le court, moyen et long terme à un pays simultanément suspendu de l’ITIE et enregistré sur la liste grise du GAFI ?

Sur le court terme :

1. Engagement immédiat : Le pays devrait manifester un engagement ferme à remédier aux lacunes qui ont conduit à sa suspension de l’ITIE et à son enregistrement sur la liste grise du GAFI. Cela pourrait se traduire par des déclarations publiques et des actions concrètes pour améliorer la transparence et renforcer les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dont le comité national a été mis sur pieds en octobre 2023 par notre président S.E.M. Paul BIYA et dont on attend toujours ses premières actions au regard de ses missions.

2. Dialogue avec les partenaires internationaux : Il est essentiel d’engager un dialogue ouvert avec les partenaires internationaux, y compris l’ITIE, le GAFI et d’autres organisations concernées, pour comprendre les attentes et les exigences spécifiques à remplir pour lever ces sanctions.

Sur le moyen terme :

3. Réforme législative et institutionnelle : Le pays devrait entreprendre des réformes législatives et institutionnelles pour renforcer ses cadres de gouvernance, de transparence et de conformité aux normes internationales. Cela peut inclure l’adoption de nouvelles lois, la mise en place d’institutions indépendantes de lutte contre la corruption, et le renforcement des capacités des organes de régulation financière. Exemple la signature du décret d’application de l’Article 66 de la constitution du Cameroun.

4. Renforcement des capacités : Investir dans le renforcement des capacités des fonctionnaires et des acteurs clés impliqués dans la gestion des ressources naturelles et la lutte contre le blanchiment d’argent peut aider le pays à se conformer aux normes internationales.

Sur le long terme :

5. Culture de transparence et responsabilité : Promouvoir une culture de transparence et de responsabilité au sein du gouvernement, du secteur privé et de la société civile est crucial pour éviter les récidives. Cela peut nécessiter des campagnes de sensibilisation, des programmes éducatifs et des incitations à la conformité aux normes internationales et nationales.

6. Collaboration internationale continue : Le pays devrait continuer à collaborer étroitement avec les organisations internationales, les partenaires bilatéraux et d’autres acteurs pour maintenir sa conformité aux normes de transparence et de lutte contre le blanchiment d’argent à long terme.

Ces conseils visent à aider le pays à surmonter ses défis actuels tout en jetant les bases d’une gouvernance transparente, responsable et conforme aux normes internationales et nationales à l’avenir.

En plus des actions énumérées précédemment, il est important pour le pays de reconnaître l’importance de restaurer la confiance des investisseurs nationaux et internationaux. Cela pourrait impliquer des initiatives spécifiques telles que des audits indépendants, des rapports réguliers sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre des réformes, et la démonstration d’un engagement continu en faveur de la transparence et de la bonne gouvernance.

Par ailleurs, il est essentiel que le pays collabore étroitement avec les parties prenantes internes, y compris le secteur privé et la société civile, pour garantir une approche inclusive dans la mise en œuvre des réformes. L’engagement de tous les acteurs concernés peut renforcer l’appropriation nationale des mesures prises et favoriser une culture de responsabilité partagée.

Enfin, il est crucial pour le pays de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation solides pour évaluer régulièrement les progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformes. Cela permettra d’identifier les défis persistants et d’apporter les ajustements nécessaires pour assurer une conformité continue aux normes internationales.

En combinant ces éléments aux actions à court, moyen et long terme précédemment mentionnées, le pays peut progressivement restaurer sa réputation, renforcer sa position sur la scène internationale et créer un environnement propice à la croissance économique durable, sinon c’est le gouffre qui nous attend au regard des difficultés systémiques et structurelles ambiantes, autant le dire une crise économique. 

Par M. Ange NGANDJO (Banquier-Consultant), Mars 2024.

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