(Leconomie.info) – L’année dernière, au cours de mes différentes interventions, je n’ai eu cesse de tirer la sonnette d’alarme sur le déclin économique du Cameroun par rapport aux pays en utilisant les projections du FMI et de la Banque mondiale montrant qu’en 2022, la création de richesses (PIB) du Cameroun (44 milliards USD) ne représentait que 8% de celle du Nigeria (504 milliards USD) tandis que la Cote d’Ivoire se situe à 68,6 milliards USD, le Kenya (114,7 milliards USD), l’Ethiopie (111 milliards USD), la Tanzanie (76,5 milliards USD), la RDC (63,6 milliards USD).
Selon le FMI, en 2027 l’écart entre le Cameroun (15e économie en Afrique avec un PIB de 52,1 milliards USD soit la moitié de la Cote d’Ivoire)) et les autres pays agrandirait comme suit : Nigeria (945,3 milliards USD), Angola (185,9 milliards), Kenya (164,4 milliards USD), Ethiopie (153,4 milliards USD), Tanzanie (121,3 milliards USD), RDC (87,5 milliards), Cote d’Ivoire (100, milliards), RDC (87,5 milliards USD). Ethiopie (soit la moitié de la Cote d’Ivoire). Ceci met un terme à l’illusion d’une émergence miraculeuse dans les années 2035. Le journal Jeune Afrique a repris à son compte cette analyse en début d’année.
Selon la Banque mondiale dans son rapport « Mémorandum économique du Cameroun (CEM) », pour devenir un pays à revenu intermédiaire haut d’ici 2035, le Cameroun devra accroître sa productivité et libérer le potentiel de son secteur privé. Son PIB réel devra croître d’environ 8 %, ce qui nécessitera une augmentation du taux d’investissement d’environ 20% du PIB à 30% et une croissance de la productivité de 2% par an, comparé à son taux moyen de croissance de 0% au cours de la dernière décennie. Les projections du FMI montrent que le pays prend le chemin oppose tandis que le retour aux Programmes d’Ajustement rend impossible l’atteinte des objectifs du Programme de l’Emergence.
Dans un élan de complaisance visant à étouffer ce débat, des voix se sont levés au Cameroun pour réfuter toute comparaison entre le Cameroun et la Cote d’Ivoire sous le prétexte que le concept du PIB n’est pas approprié pour mesurer le niveau de création de richesses des Nations. Je dénonce avec force ce mensonge grossier.
Pourquoi le PIB est Important
Le Produit Intérieur Brut (PIB) a étémis en place après la deuxième guerre mondiale afin de tirer les leçons de la crise des années 1930 qui avait été amplifiée par l’absence d’indicateurs permettant de mesurer l’ampleur de la crise et piloter un appareil productifen temps de guerre ou de reconstruction.
Le PIB est l’indicateur le plus utilisé par les Etats et les organisations internationales pour mesurer les richesses créées dans un pays au cours d’une période donnée, la croissance et effectuer des comparaisons entre pays. Il joue un rôle important pour mesurer les déficits et les dettes publics des États et par conséquent définir les politiques économiques des gouvernements, des politiques d’Ajustement (FMI, Banque mondiale, BAD,), des décisions des Banques Centrales (FED, BCE, BEAC) et des critères de convergence en matière d’intégration régionale (CEMAC, UE).
C’est le PIB qui permet de savoir qu’en 2022, les pays suivants ont été les plus grands créateurs de richesses dans le monde : États-Unis (25.300 milliards USD), Chine ($19 911 milliards), Japon ($4 912,15 milliards), Allemagne ($4 256,54), Royaume Uni ($3 376 milliards), Inde ($3 291,40), France ($2 936,70). Donc la France produit moins de 11% de la richesse des Etats Unis. Bien que faible, la part de l’Afrique dans le PIB mondial va s’agrandir avec le dividende démographique.
Comment se calcule le PIB : 3 approches
(i) Approche par la production. Elle permet de mieux saisir la provenance de la richesse (qui a contribué à la création de richesse) c.-à-d. La contribution par secteur d’activité (construction, industrie…) ou par type d’acteurs économiques (privés, publics, associatifs). Cette méthode calcule le PIB en additionnant les valeurs ajoutées des agents économiques publics et privés.
(ii) L’approche par les revenus permet de mettre en évidence la répartition de la richesse créée entre les salariés, l’État et les entreprises. Ce PIB correspond à la rémunération des salariés, aux impôts perçus par l’État sur la production et les importations (corrigés des subventions reversées) et aux excédents d’exploitation dégagés par les entreprises.
(iii) L’approche par la demande permet de voir la manière dont la richesse produite a été utilisée : dans la consommation, l’investissement, la constitution de stocks et par le solde des échanges extérieurs. Cette approche permet de piloter les politiques économiques conjoncturelles (relance par la demande, soutien à l’investissement, dévaluation ou revalorisation de la devise nationale…) ainsi que dans les politiques d’Ajustement du FMI. Car elle permet de mettre en œuvre des politiques capables d’influencer le niveau de consommation, l’investissement et le solde extérieure.
Le PIB permet de comparer les pays en termes de création de richesses en tenant compte du cout de la vie
Le PIB en valeur ou nominal signifie PIBnon corrigé de l’inflation. Pour mesurer la croissance, on doit éliminer l’impact de l’inflation et calculer le PIB en volume (ou PIB réel).
Cependant, le PIB ne reflète pas de manière exacte la richesse des habitants d’un pays. Car il ne tient compte ni des inégalités dans la répartition des richesses que permet de mesurer le coefficient de Gini, ni le coût de la vie dans un pays. Par ailleurs, lorsque le PIB de tous les pays est libellé en une même monnaie (le dollar US) comme l’a fait le FMI dans les estimations mentionnées à l’entame de ce texte, la comparaison entre pays est biaisée par les variations des taux de change. Ce biais donne l’illusion que le PIB de la Russie en 2022 ($1 829) est largement inférieur à celui de l’Italie ($2 058,33 milliards USD) ou du Canada ($2 221,22 milliards USD) et de la France.
PIB par la Parité du Pouvoir d’Achat. C’est pour corriger le biais des taux de change que les économistes ont introduit la notion de la « Parité du Pouvoir d’Achat (PPA) » qui mesure le pouvoir d’achat d’une monnaie pour un consommateur pour se procurer le même panier de biens et services qu’un autre consommateur dans un autre pays (exemple: comparaison du prix d’un Burger King dans différents pays). Il s’agit d’un taux de conversion entre les monnaies qui est plus près de la richesse réelle par habitant. Car il tient compte du « coût de la vie ». Ceci permet de corriger à la hausse la valeur du PIB de pays comme la Russie dont la monnaie, la production et les efforts de souveraineté économique sont sous-évalués dans les agrégats exprimés en dollars.
Pourquoi le PIB est contesté et Quels Indicateurs complémentaires
On reproche au PIB de ne pas prendre en compte toute l’activité économique et d’exclure le travail bénévole réalisé dans le secteur associatif et le travail personnel (ménage réalisé par soi-même, bricolage) tandis que la prostitution est prise en compte. Lorsque vous engagez une femme de ménage ou une secrétaire, cela augmente le PIB. Car vous leur versez un salaire. Si vous en faites une épouse faisant le même travail auprès de vous, le PIB diminue. Car il n’y a plus de valeur marchande dans l’échange avec votre épouse bien que votre bien-être soit plus élevé. En outre, le PIB n’intègre pas les données sociales, environnementales et le bien-être des individus.
Au niveau du PIB dans le secteur marchand, le calcul de la valeur ajoutée ne tient pas compte de la manipulation des prix ou des prix de monopole. Pour le secteur non-marchand, étant donné que les prestations des Administrations ne sont pas quantifiables en termes de prix, on mesure leur contribution à la création de la richesse nationale par ses coûts de production sans tenir compte de la qualité du service.
Compte tenu de ces limites du PIB, d’autres indicateurs tels que l’Indice de Développement Humain (IDH) ont été développés. L’IDH prend en compte l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le PIB par habitant afin d’évaluer le bien-être collectif d’un pays; allant ainsi au-delà de la simple mesure de la production économique.
Personnellement, j’aime associer au PIB, des indicateurs permettant d’avoir une idée sur le potentiel de création de richesses, notamment le rapport sur la compétitivité du World Economica Forum qui permet d’évaluer la qualité des infrastructures hard et soft (énergie, eau, télécoms, routes, ports, aéroports, secteur financier, système éducatif, etc.), l’indice de gouvernance de Mo Ibrahim et la transparence dans la gestion des industries extractives (IETI).
Sur la base du PIB et des autres indicateurs, il est possible de comparer de manière rationnelle et objective le Cameroun aux autres pays en matière de création de richesses et d’arriver aisément à la conclusion selon laquelle le déclassement international du Cameroun est le reflet des faillites au niveau de la gouvernance, de la corruption endémique, du déficit chronique en infrastructures, de l’effondrement du tissu économique et social, du tribalisme, du népotisme et de la faible mobilisation des ressources humaines qui plombent le développement du Cameroun.
Quelles leçons tirer des mauvaises performances économiques du Cameroun
Comme au niveau de la coupe du monde de football qui voit s’affronter les meilleures équipes au niveau mondial, la compétition économique est avant tout une compétition entre les élites. Les Occidentaux et les asiatiques l’ont compris ; quelques pays africains aussi, notamment l’Ile-Maurice, le Botswana, le Rwanda ou l’Ethiopie.
Le pays francophone qui crée le plus de richesses (PIB), la Côte d’Ivoire occupe la 11e place en Afrique devant le Cameroun qui est à la 15e place. Tandis que le secteur privé national est plus dynamique au Cameroun, la capacité d’impulsion et de coordination de l’économie et l’efficacité de l’Etat en matière d’investissements publics est meilleure en Côte d’Ivoire. Par conséquent, l’économie ivoirienne est plus compétitive et plus diversifiée; les infrastructures sont de meilleure qualité et la Cote d’Ivoire exporte près de trois fois plus que le Cameroun. Ceci donne à la Côte d’Ivoire plus de résilience face aux chocs exogènes et au service de la dette extérieure.
Imaginez l’ampleur de l’écart entre les deux pays dans les années à venir si d’ une part le Cameroun maintenait sa posture actuelle du refus d’utiliser ses meilleures ressources humaines et d’ autre part la Côte d’ Ivoire décidait de mobiliser pour le pilotage et la gestion de l’Etat des ressources de qualité telles que Mr. Tidjane Thiam (ex-Ministre du Plan et PDG du Crédit Suisse), Jean-Louis Billon (Industriel et ancien Ministre de l’Industrie et des PME-PMI) et Thierry Tanoh (ex Vice-Président de la SFI et Secrétaire Général Adjoint de la Présidence) afin de donner au pays une trajectoire du développement économiquement plus ambitieuse et socialement inclusive.
Non, nous ne voulons plus être désarmés et couverts de honte dans la compétition avec les autres Nations. J’aime la compétition. Je veux que collectivement, nous nous mettions en ordre de bataille pour relever ce défi et reprendre notre voyage interrompu vers le développement et l’amélioration des conditions de vie des camerounais. Je reste optimiste. Car le Cameroun dispose de toutes les ressources nécessaires pour faire partie des pays africains les plus performants. A condition de rompre avec un modèle politique et économique éculé et inventer un nouveau paradigme débarrassé des fléaux du tribalisme, du népotisme et de la corruption. Le premier souci des élites devrait être de faire grandir le gâteau national afin de nourrir plus de convives et rattraper les autres Nations et non de consacrer toutes les énergies sur le partage d’une portion congrue.
Le Cameroun de demain devra reposer sur un nouveau contrat social, une nouvelle constitution mieux adaptée aux défis du pays, le renouvellement des élites et des institutions, la décentralisation, la garantie de justice, de sécurité et des libertés publiques, la restauration de l’ambition nationale, du patriotisme et de la méritocratie, la bonne gouvernance et la discipline dans la gestion de l’Etat et une économie forte s’appuyant sur un capital social et financier solide, un appareil productif redynamisé et un Etat stratège, favorisant l’émergence de champions nationaux et de capitaines d’industrie ainsi que des programmes ciblés de lutte contre la pauvreté urbaine et rurale.
Eugene Nyambal, Economiste
Ancien Conseiller Principal pour l’Afrique au Conseil d’Administration du FMI, Chef Projet à la Banque mondiale et Responsable de la Stratégie Pour l’Amérique Latine à la SFI