Introduction
Les comparaisons entre les pays africains et la Corée du Sud ont été abondamment traitées dans la littérature économique récente. Ces études tendent à montrer comment la Corée du Sud, indépendante en 1948 et sortie de la guerre de Corée en 1953 a pu s’extirper de la pauvreté et offrir un niveau de vie à ces populations similaires à celui des pays occidentaux, pourrait servir d’exemple aux pays africains. Selon cette littérature, des pays comme le Cameroun ou la Côte d’Ivoire indépendants moins de 10 ans après la fin de la Guerre de Corée ont connu des trajectoires opposées de ce dernier alors qu’ils étaient à des niveaux de développement similaires (Graphique 1).
Ces études qui s’inscrivent dans le courant économique développementaliste ne prennent pas toujours en considération les contextes politiques, économiques, institutionnelles, sociaux des pays susmentionnés.
A titre d’illustration, il y a eu au Cameroun des choix économiques différents de ceux de la Corée du Sud, le morcellement de la population et des entreprises nationales restées au stade de champions locaux pendant que les entreprises familiales coréennes sont devenues d’importantes multinationales. Cette note d’analyse se propose d’examiner, les leviers sur lesquels la Corée s’est appuyée et qui pourraient servir de tremplin pour accélérer son développement économique. N’étant pas une panacée, elle mettra l’accent sur un État central fort mais nécessitant une modernisation, la présence de grands groupes industriels comparables aux chaebols sud-coréens, et une population jeune et dynamique.
Graphique 1 : Évolution du PIB par habitant (en USD)

La centralité de l’État comme moteur du développement
Le Cameroun, comparativement à d’autres pays d’Afrique centrale, se distingue par un État fort et centralisé, similaire à la Corée du Sud sous la présidence de Park Chung Hee. Ce dernier est reconnu pour avoir impulsé un développement économique rapide et durable. La centralité de l’État entendue ici comme le rôle moteur qu’occupe l’État au sein de l’activité politique et économique est une similitude que partagent le Cameroun et la Corée du Sud. Dans les deux pays, l’État défini les orientations économiques et réalise les grands travaux. Cependant, le Cameroun pour emboiter le pas à la Corée du Sud pourrait non seulement revoir son organisation territoriale et passer d’une logique d’État administrateur territorial à celui d’État moteur économique. De plus, il est nécessaire de surmonter des crises internes pour pleinement exploiter cette force étatique : la crise anglophone, la menace de Boko Haram au Nord, et la sécurisation de la frontière Est avec la République Centrafricaine.
Historiquement et grâce au dirigisme de l’État, la Corée du Sud a su tirer parti des révolutions technologiques des années 70 et 80 en investissant dans les semi-conducteurs, la téléphonie, l’électroménager et l’automobile. Pendant ce temps, le Cameroun optait pour une politique économique tirée par l’agriculture d’exportation : cacao, café, thé et hévéa. Les résultats divergent nettement : aujourd’hui, la Corée du Sud est une puissance technologique mondiale, tandis que le Cameroun reste dépendant de ses exportations agricoles.
En 2024, le Cameroun fait à une révolution incarnée par l’intelligence artificielle et les changements climatiques. L’intelligence artificielle aura des effets sur le numérique et les industries de pointe et alors que les changements climatiques impacteront les modes de vie des populations de façon durable. Une adaptation face à ces changements est d’autant plus urgente que ses concurrents africains comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kenya ont déjà commencé à se positionner stratégiquement sur ces secteurs. En 2024, le Kenya qui héberge des filiales locales des mastodontes de la tech Google, Amazon et Microsoft a lancé une stratégie nationale de l’IA ou encore la Côte d’Ivoire qui a lancé la phase II du projet « Sécurité alimentaire et agriculture : accélérer l’adaptation » (SAGA 2). Ce projet vise à renforcer les capacités des producteurs agricoles à faire face aux crises climatiques et à la perte de biodiversité en développant des politiques efficaces et en fournissant des données scientifiques pour soutenir l’adaptation. En adoptant une approche orientée vers le modèle sud-coréen, le Cameroun pourra transformer son potentiel en une réalité économique prospère.
Une nécessaire évolution de titans familiaux aux champions nationaux
Les Chaebols sont de grands conglomérats industriels coréennes contrôlés par des familles qui dominent la majeure partie de l’économie sud-coréenne. Parmi les plus connus, on trouve Samsung, LG et Hyundai. Ces entreprises, bien qu’ayant bénéficié d’un soutien gouvernemental accru, notamment durant les années 70 et 80, ont également adopté une stratégie d’intégration verticale. En contrôlant, l’ensemble de la chaine d’approvisionnement et de fabrication elles ont répondu aux besoins de la main-d’œuvre locale, éviter le déversement du surplus de production japonais dans le pays tout en se taillant des parts de marché significatives à l’exportation.
Au Cameroun, de grands groupes industriels et commerciaux existent depuis les années 1960, ayant pris le relais des commerçants grecs, libanais et syriens installés pendant les périodes de tutelle et de mandat. Parmi ces groupes, on peut citer les entreprises Fadil, Fokou et Fotso. Ces grands groupes ont une contribution importante à la part de l’industrie dans le PIB camerounais (Graphique 2). Cependant, des efforts importants d’industrialisation doivent être réaliser.
La croissance lente de l’industrie camerounaise limite leur compétitivité et les rend vulnérables à la pénétration de nouveaux entrants, qu’ils soient locaux ou étrangers. Pour que ces groupes camerounais puissent jouer un rôle similaire à celui des Chaebols, ils doivent adopter des stratégies plus dynamiques. Cela inclut une intégration verticale accrue, une diversification de leurs activités et une orientation vers les marchés d’exportation. En outre, un soutien gouvernemental ciblé pourrait stimuler leur croissance et leur permettre de devenir des champions nationaux capables de rivaliser sur la scène internationale.
En somme, en répliquant certaines des stratégies des Chaebols, les grands groupes industriels camerounais peuvent non seulement renforcer leur position sur le marché intérieur, mais aussi s’imposer comme des acteurs majeurs sur le marché mondial.
Graphique 2 : Valeur ajoutée industrielle (% du PIB)

Des populations camerounaises au peuple camerounais
Les population camerounaises et sud-coréennes sont dynamiques, mais le Cameroun se distingue par une fragmentation persistante due aux questions tribales et régionales. En revanche, la Corée du Sud a su surmonter ses divisions internes, notamment la séparation Nord-Sud et les inégalités géographiques et religieuses, en établissant un contrat social robuste. Ce contrat social repose sur un accord implicite où l’État favorise les Chaebols en tant que moteurs de l’économie en échange de leur contribution à l’emploi, à la croissance économique et à l’exportation. En retour, la population bénéficie des emplois et d’une amélioration des conditions de vie, tout en acceptant une concentration élevée de pouvoir économique entre les mains de quelques grands groupes.
Ce type de contrat social, où les intérêts des différents groupes convergent pour le bien commun, n’est pas encore pleinement réalisé au Cameroun. Les intérêts des différentes communautés camerounaises restent grandement divergents, ce qui entrave la cohésion nationale et freine le développement économique. Pour reproduire le succès sud-coréen, il est crucial que le Cameroun établisse un contrat social similaire, où l’État joue un rôle de facilitateur et de régulateur, favorisant la collaboration entre les grands groupes industriels et la population.
Un tel contrat social pourrait inclure des initiatives visant à promouvoir l’unité nationale et à réduire les inégalités. Par exemple, la révision du récit national pour mettre en lumière des aspects occultés de l’histoire du pays, des politiques favorisant l’inclusion économique et sociale de toutes les communautés, ainsi que des programmes de développement régional équilibré seraient essentiels. En mobilisant toutes les composantes de la société camerounaise autour d’un objectif commun de développement, le Cameroun pourrait transformer sa diversité en une force et stimuler un développement économique inclusif et durable.
Conclusion
Le Cameroun peut tirer des leçons importantes du modèle de développement sud-coréen pour stimuler son propre progrès économique. Premièrement, un État central fort mais modernisé est essentiel pour surmonter les défis internes et favoriser le développement technologique et industriel. La Corée du Sud a su utiliser un État dirigiste pour investir dans des secteurs stratégiques, et le Cameroun devrait suivre cet exemple en embrassant les nouvelles technologies et en encourageant l’initiative privée tout en préservant l’environnement.
Deuxièmement, les grands groupes industriels camerounais doivent évoluer en adoptant des stratégies dynamiques, notamment l’intégration verticale, la diversification de leurs activités et une orientation vers les marchés d’exportation. Avec un soutien gouvernemental ciblé, ces entreprises pourraient devenir des champions nationaux capables de rivaliser sur la scène internationale, à l’instar des Chaebols sud-coréens.
Enfin, pour transformer sa diversité en une force, le Cameroun doit établir un contrat social robuste qui favorise l’unité nationale et réduit les inégalités. Des initiatives visant à promouvoir l’inclusion économique et sociale de toutes les communautés. Il est impératif d’accélérer le processus de décentralisation afin d’assurer un développement équilibré régions. Pour cela, il faut mobiliser toutes les composantes de la société autour d’un objectif commun de développement. Le Cameroun pourrait en ce sens, stimuler un développement économique inclusif et durable.
En s’inspirant des succès de la Corée du Sud tout en tenant compte de ses propres spécificités et défis, le Cameroun, en intégrant ces recommandations, pourrait transformer son potentiel en une réalité économique prospère.
Par Dominique BELING NKOUMBA. Il est économiste, data-analyst et chercheur au sein du Think Do Tank The Okwelians