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Comprendre l’émergence des contrats de performance dans l’administration camerounaise

Comprendre l’émergence des contrats de performance au Cameroun nous impose une rétrospection des modèles de gouvernance du Cameroun de 1960 à nos jours. C’est l’objet de la présente réflexion.

Il n’échappe à personne que le Cameroun est une terre de transplantation en ce sens que depuis son existence comme État indépendant, il a reçu plusieurs héritages : (1) Il dispose d’un double héritage colonial gouverné par des principes différents : la civil law (héritage français) d’un côté et la common law (héritage britanique) de l’autre.

Ces différences entre traditions juridiques ont une origine politique adossée sur les rapports de pouvoir spécifiques entre la monarchie et les propriétaires. (2) Il subit à travers les programmes d’ajustements structurels une transplantation d’outils de redressements et par la suite ceux dits de relance avec le passage d’un État investisseur à un État régulateur. (3) Par la suite, il hérite du Nouveau Management Public (NPM) comme mode de gestion de l’administration camerounaise.

Cette sédimentation successive d’idéologies se heurte à un environnement fragilisé par les effets de la mondialisation. Il apparaît alors dans cette configuration qu’au-delà du discours sur la performance, entretenu par l’administration publique camerounaise, les dispositifs mis en place ne s’expliquent pas toujours par la recherche de l’efficience,  mais peuvent être davantage des contraintes politiques qui conditionnent son sentier de développement.

La résurgence des contrats de performance en plus des outils déjà déployés suscite des interrogations. C’est qui justifie l’intérêt accordé à la circulaire N° 4918/MINFI/ du 05 juillet 2022 régissant les Contrats de Performance entre l’Etat et les Etablissements et Entreprises Publics. Cette actualité autorise de revisiter les modèles de gouvernance du Cameroun de 1960 à nos jours.

Un modèle décrit un processus. Il renvoie à une explication d’évènements rendant compte d’une réalité. Il peut être de deux natures : une causale (réalité exprimée par les liens entre les variables et dans la logique qui explique ces liens), la seconde réalité n’est pas de nature causale, elle rend alors compte des observations et des analyses. C’est cette deuxième posture qui est privilégiée dans la présente démonstration. Elle vise à restituer la réalité observée dans le dispositif de l’administration camerounaise pendant les phases de son histoire que l’on peut regrouper en 4 en fonction du contexte économique du pays.

La première phase, située après l’indépendance en 1960 connaît une souveraineté de gouvernance administrative pendant 20 ans, jusqu’en 1980. La deuxième période, marquée par la crise économique consacre la mise sous conditionnalité avec le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale de 1980 à 2000. A partir de 2000 et ce jusqu’en 2016 l’Etat retrouve sa souveraineté administrative et dispose d’une marge de manœuvre dans son fonctionnement et, malheureusement de 2016 à nos jours, il est à nouveau sous contrat avec le FMI dans le cadre d’un programme de facilités de crédits. L’objectif ici est d’analyser le dispositif de gouvernance qui se déploie pendant ces quatre phases.

Les analyses des différents dispositifs de gouvernance s’appuient sur les  trois facteurs importants d’une gouvernance efficace :

  • Disposer du pouvoir de prendre les décisions sur leur propre avenir ;
  • Exercer ce pouvoir à travers des institutions efficaces ;
  • Etre capable de choisir les politiques et projets appropriés.
  1. Modèle de gouvernance années 1960-1980 : période post indépendance

Philosophie de rationalisation : Investissement dans tous les domaines de la société. C’est l’ère de l’Etat providence et de l’abondance des recettes des richesses naturelles. Cette période est marquée par la construction d’une administration publique libérée du joug colonial mue par la « camerounisation » de ses cadres.

Figure 1 : Modèle de gouvernance années 1960-1980

Disposer du pouvoir de prendre les décisions sur leur propre avenir : pendant cette période le Cameroun avait le pouvoir d’engager les projets de manière autonome.

Exercer ce pouvoir à travers des institutions efficaces : le pouvoir de prendre les décisions était exécuté par des institutions efficaces.

Etre capable de choisir les politiques et projets appropriés : l’administration s’est dotée d’outils pour choisir et exécuter les politiques et les projets appropriés.

  • Modèle de gouvernance années 1980- 2000 : crise économique

Idéologie libérale accompagnée d’outils de rationalité économique. Le contexte ici est davantage marqué par l’austérité.

Figure 2 : Modèle de gouvernance années 1980-2000

Source : auteure

Disposer du pouvoir de prendre les décisions sur leur propre avenir : pendant cette période le Cameroun n’avait pas le pouvoir d’engager les projets de manière autonome.

Exercer ce pouvoir à travers des institutions efficaces : Les institutions fonctionnent au ralenti. Celles du secteur social mettent en œuvre les politiques et projets validés par les bailleurs. Dans les autres ministères, l’activité est presqu’inexistante.

Etre capable de choisir les politiques et projets appropriés : La question des projets ne se pose pas, la préoccupation est de réduire les déficits budgétaires en procédant à des coupes drastiques dans tous les secteurs dont la masse importante pouvait permettre de retrouver rapidement les équilibres macroéconomiques.

  • Modèle de gouvernance années 2000- 2016 : relance de l’économie

Idéologie libérale avec un socle administratif plus social et wébérien. L’idéologie ne s’est pas faite accompagnée automatiquement par une modification des pratiques administratives aussi bien en ce qui concerne les la structure qui accompagne l’action (organigramme) que les outils opérationnels (manuels de procédure et normes de fonctionnement notamment la nomination des responsables ou le processus de recrutement).

Figure 3 : Modèle de gouvernance années 2000-2016

Source : auteure

La finalité de la gouvernance de la troisième phase repose sur ‘‘l’agencification’’ et la contractualisation. On assiste au renouvellement complet des modes de gestion. On pourrait alors dire que Weber est réinventé voire renié avec l’adoption de la comptabilité analytique, le recours aux outils de planification/programmation (définition des objectifs opérationnelles, d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs de résultats)[1] et la mobilisation des outils de gestion des ressources humaines du secteur privé (tels que l’institution des postes de travail, l’introduction de la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, l’adoption des cadres organiques…).

C’est dans ce contexte que les contrats de performance apparaissent dans l’administration publique camerounaise. Ils ne sont pas généralisés et ne sont pas appliqués de manière explicite dans les entités publiques.

Disposer du pouvoir de prendre les décisions sur leur propre avenir : pendant cette période le Cameroun avait le pouvoir d’engager les projets de manière autonome. Cette autonomie intervient dans un contexte de morosité financière au plan international. Si le pays a la marge de manœuvre à l’interne, les contraintes externes et les crises vécues (notamment la crise financière de 2008) vont conditionner le volume des investissements.

Exercer ce pouvoir à travers des institutions efficaces : le pouvoir de prendre les décisions était exécuté par des institutions fragilisées par la grande crise économique. Elles ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux et des défis.

Etre capable de choisir les politiques et projets appropriés : l’administration s’est dotée de nouveaux outils de planification d’outils pour choisir et exécuter les politiques et les projets appropriés (stratégie nationale de développement, stratégie sectorielle, stratégie à périmètre ministérielle, budget programme, nouveaux outils de budgétisation). Malheureusement ces outils ne rencontrent pas les ressources humaines de l’Etat outillées pour se les approprier. Bien qu’un accent soit mis sur le renforcement des capacités institutionnelles les administrations affichent des résultats mitigés.

  1. Modèle de gouvernance de 2016 à nos jours :

Idéologie libérale marquée par le retour du FMI avec des modalités plus flexible que dans les années de crise économique (1980-2000) aménageant une autonomie relative dans les orientations de politiques publiques.

Figure 4 : Modèle de gouvernance années 2016 à nos jours

Source : auteure

On observe une superposition de réformes et d’outils entrainant un brouillage identitaire. L’on assiste à un mix entre préoccupations sociales et exigences de performances. Les outils utilisés contrastent le plus souvent avec l’idéologie et les pratiques politiques et administratives : l’Etat est entre deux feux. D’une part les bailleurs de fonds et les exigences contextuelles qui appellent à plus de rationalité et au choix des investissements sur la base de la rationalité économique. D’autre part, une trop grande pression sociale attestant de ce que l’engagement dans la première voie est prématuré.

Pendant cette période les contrats de performance se déploient dans plusieurs secteurs. La circulaire N° 4918/MINFI/ du 05 juillet 2022 régissant les Contrats de Performance entre l’Etat et les Etablissements et Entreprises Publics étend cet outil, aux collectivités territoriales décentralisées, aux Etablissements Publics, aux Entreprises Publiques de même que leurs filiales, le cas échéant.

Disposer du pouvoir de prendre les décisions sur leur propre avenir : pendant cette période le Cameroun a le pouvoir d’engager les projets dans une autonomie relative. Si le choix des projets n’est pas conditionné par une contrainte du FMI, les décisions prises dont l’impact sur la crédibilité et la soutenabilité du Cameroun sont évaluées par le FMI lors des différentes missions préalable au déblocage des fonds sollicités.

Exercer ce pouvoir à travers des institutions efficaces : le pouvoir de prendre les décisions est exécuté par des institutions inscrites dans un processus de maturation. En effet, les retards dans l’exécution de nombreux projets et l’incapacité à consommer les crédits contractés sont la preuve de la faible performance des institutions publiques.

Etre capable de choisir les politiques et projets appropriés : l’administration s’est dotée d’outils pour choisir et exécuter les politiques et les projets appropriés. Toutefois, la présence du FMI même dans sa forme allégée ne lui laisse pas la liberté totale dans le choix des priorités.

Pour conclure, le contrat de performance émerge dans les années 2000 après la grande crise économique des années 80. Il est introduit à la faveur de l’adoption du NMP et de la gestion axée sur les résultats (certains préfère gestion axée par les résultats) comme fortement suggéré (voire imposé) par les bailleurs de fonds à la sortie de la crise. Cet outil connaîtra un déploiement ciblé dans certains secteurs et dans certaines entreprises publiques qui n’ont pas été privatisées. De 2003 à 2022 il était assez discret et volontairement retenu par certaines administrations (la douane) ou dans le cadre des réhabilitations (contrat plan). Il faut noter que c’est toujours en présence des bailleurs qu’il est davantage publicisé. La circulaire N° 4918/MINFI/ du 05 juillet 2022 régissant les Contrats de Performance entre l’Etat et les Etablissements et Entreprises Publics le rend obligatoire pour l’ensemble des établissements et entreprises publiques. Il faudra s’habituer à le voir dans l’arsenal déjà implémentés : plan stratégique, budget programme, plan d’actions des programmes et les différents rapports liés et les 3 comptabilités exécutées (comptabilité générale, analytique et matières).

Par Pr. Viviane Ondoa Biwolé, universitaire et entrepreneuse camerounaise, experte des questions de gouvernance et de développement 

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