Le 9 mai 2025, l’agence Fitch Ratings Ratings a confirmé la note de défaut émetteur à long terme du Cameroun à « B » avec une perspective négative. Si cette note est une luciole dans le ciel d’une zone CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) assombri par les risques de défaut des autres pays notamment le Congo (CCC+), le Gabon (CCC), la perspective négative d’après Fitch Ratings, reflète les risques politiques liés à d’éventuels problèmes de succession à la tête de l’Etat et aux faiblesses structurelles de la gestion des finances publiques, illustrées par une gestion défaillante des liquidités, des retards de paiement de la dette extérieure et une accumulation d’arriérés intérieurs.
Simple coïncidence ou conjonction de faits, le communiqué de Fitch Ratings est rendu public le lendemain de la fin d’une mission du Fonds Monétaire International (FMI) dont le séjour au Cameroun était consacré à la 8ème et dernière revue des accords au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) et du Mécanisme élargi de crédit (MEDC), ainsi que la 2ème revue de l’accord appuyé par la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). En attentant les conclusions de la mission qui seront examinées par le Conseil d’Administration du Fonds, il y a lieu de relever des points d’achoppement notamment les sempiternels retards dans, (i) la réforme des entreprises publiques, (ii) la réhabilitation de la SONARA (Société Nationale de Raffinage), un véritable boulet, (iii) le payement de la dette intérieure dont l’un des indicateurs est l’accumulation du Reste à Payer (RAP) qui s’élève à près de 500 milliards de F CFA.
L’absence d’un nouveau programme avec le FMI constituerait un risque pour la poursuite à moyen terme du soutien des créanciers du Cameroun
Mais au-delà des conclusions de cette revue qui pourraient donner lieu aux derniers décaissements au titre de ces accords qui s’achèvent ce mois de juin 2025, l’autre incertitude est la perspective d’un nouveau programme avec le FMI, programme dont l’absence, selon toujours l’agence Fitch Ratings, constituerait un risque majeur pour la poursuite à moyen terme du soutien important des créanciers officiels du Cameroun.
S’agissant particulièrement des risques politiques mis en exergue par Fitch Ratings et d’autres observateurs, ils vont au-delà des capacités du Président Biya (92 ans) qui serait tenté par un règne perpétuel, et des batailles internes de positionnement voire de succession au sein du RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Cameroun) parti au pouvoir. Ces risques sont amplifiés depuis quelques semaines par un débat surréaliste qui a débordé le cadre des « aboyeurs du dimanche » sur les plateaux de télévision, pour se transporter dans la sphère universitaire où on se serait attendu à plus de sérénité et de hauteur d’esprit. Les conjectures, les interprétations de la constitution (loi fondamentale) et du code électoral, sur la recevabilité de la candidature du Pr Maurice Kamto, leader du MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun) à l’élection présidentielle d’octobre 2025, étalent au grand jour la profondeur de l’incurie et de l’inconsistance au sein d’une classe d’élites supposées être les phares d’un bateau qui semble dans la tourmente. Alors que les esprits sont chauffés à blanc et que tous les camerounais sont devenus spécialistes du droit public, certains maîtres en la manière en rajoutent à l’incertitude en soufflant sur les braises de l’irrecevabilité ou de la recevabilité de la candidature d’un prétendant à la magistrature suprême.
Les incertitudes politiques autour de l’élection présidentielle accroissent les primes de risque et constituent un repoussoir pour les investissements
En attendant l’épilogue de ce qui s’annonce déjà comme les prémices d’un contentieux pré-électoral, les camerounais broient du noir au propre comme au figuré. Leur quotidien est rythmé par la vie chère et par des coupures intempestives d’électricité alors même que l’entrée en service de la centrale hydroélectrique de Nachtigal avec ses 420 MW était annoncée comme le bout du tunnel. C’était sans compter avec les réalités d’un secteur dont les impérities du maillon de transport constituent un vrai boulet pour les ménages et les entreprises. Produire de l’électricité est une chose, la transporter et l’injecter dans le réseau de distribution en est une autre.
Cette situation rend davantage précaire l’équilibre financier du secteur dès lors que le distributeur ENEO (The Energy of Cameroon) doit payer 10 milliards de F CFA par mois au producteur indépendant NHPC (Nachtigal Hydro Power Company), que les 420 MW soient injectés dans le réseau au pas selon le principe du « Take or pay » inscrit dans le contrat liant les deux parties. Par ailleurs, les risques et la vulnérabilité de ce secteur sont amplifiés par les incertitudes liées aux rapports entre l’Etat du Cameroun et le fonds d’investissement Actis, détenteur de 51% du capital d’ENEO et qui a annoncé sa décision de se retirer. Mais ce retrait pourrait se faire au rythme d’un contentieux, les deux parties, bien que se rapprochant d’un accord sur la valorisation des parts d’Actis (78 milliards de F CFA selon certaines sources), ne parviennent pas encore à harmoniser leurs positions sur leurs créances/dettes croisées et sur la valeur des investissements réalisés par le partenaire stratégique.
Bien plus, la perspective de la renationalisation du secteur avec la reprise par l’Etat (déjà actionnaire à hauteur de 44%) des parts détenues par Actis, soulève des inquiétudes liées à la gestion peu orthodoxe des entreprises publiques au Cameroun. Le cas le plus emblématique est la SNH (Société Nationale des Hydrocarbures), la plus grande entreprise du Cameroun en termes de revenue, transformée en un patrimoine familial.
Les incertitudes dans le secteur de l’électricité et les contentieux avec des partenaires et investisseurs dans de nombreux secteurs font du Cameroun une destination risquée
Une rupture brutale du partenariat avec Actis et un contentieux viendraient alimenter la perception négative des investisseurs après la dénonciation unilatérale du contrat d’exploitation des péages routiers avec l’entreprise Razel Fayat et l’affaire Sundance relative à l’exploitation du gisement de fer de Mbalam, affaire encore pendante depuis 2022 devant la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) alors que la compagnie australienne réclame au Cameroun 5,5 milliards de dollars de dommages, soit environ 3300 milliards de F CFA (près de 45% du budget annuel de l’Etat).
Les conséquences financières de ces potentiels contentieux viendraient grever davantage des finances publiques déjà à la peine du fait entre autres, d’une trésorerie extrêmement tendue qui oblige l’Etat à recourir quasi mensuellement à l’émission des Bons de Trésor Assimilables (BTA) sur le marché régional des titres publics pour des emprunts d’une maturité de… 26 voire 13 semaines. Toutes ces incertitudes et bien d’autres interpellent et déteignent sur l’attractivité du Cameroun, pays pourtant doté d’un potentiel riche et varié dont la saine mise en valeur en aurait fait une des destinations privilégiées des investisseurs en Afrique subsaharienne.
Emmanuel Noubissie Ngankam, Analyste Economique, Ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale