Grandes entreprises et PME au sein d’un même Patronat : idéalisme ou pragmatisme ?
(Leconomie.info) - Sorel Mouafo, PCA du Réseau pour l’accompagnement des produits et entrepreneurs Camerounais (Rapec) et Metchum Tayou, Dg de Sphinge, Cabinet Conseil et Ingénierie Marketing pour PME se prononcent sur le sujet.
Des 395 000 entreprises camerounaises, 98% sont des PME, dont le portrait – robot du chef d’entreprise pourrait être le suivant : homme de moins de 50 ans, diplômé de l’école primaire, ayant créé son entreprise « à partir de rien », et essentiellement formé sur le « tas ».
Dans le sillage de la refondation du Patronat qui devra être plus inclusif, deux dames se sont penchées sur la question de la cohabitation au sein d’un même patronat des grandes et des petites entreprises, deux organisations structurellement différentes, dont les centres d’intérêt peuvent être plus divergents que convergents.
Quels éléments de motivation peuvent pousser les PME à adhérer au Gicam ?
Sorel MOUAFO : Le GICAM est un Patronat Camerounais perçu comme celui des grandes entreprises. La PME qui souhaite y adhérer doit se rassurer que cette organisation a pour mission la défense des intérêts des PMEs, qu’elle peut résister aux revendications des syndicats et mouvements sociaux sur des questions en rapport avec la PME, pour la protéger. Ces PMEs doivent se rassurer que le GICAM travaille à aider la PME à apprivoiser les lois et les règlementations, à améliorer leurs compétences et à rencontrer d’autres entrepreneurs et tout ceci de façon pratique et efficace avec des statistiques concrètes qui peuvent en témoigner. Pour finir, mettre la PME au cœur des actions, et stratégies prioritaires du GICAM serait une excellente motivation qui pousserait une PME à y adhérer.
METCHUM TAYOU : Il nous semble que la PME comprend bien l’intérêt de se mettre en réseau avec les grandes entreprises, pour bénéficier d’accompagnement et de compagnonnage. Vous avez présenté quelques besoins très souvent exprimés par les PME : renforcement de capacités, accès aux marchés, solutions de financement…qui sont des besoins très opérationnels, on dira même de court terme. Mais il y en a d’autres, qui relèvent de la stratégie d’entreprise, que les PME doivent intégrer, en ayant la pleine conscience que leur écologie organisationnelle étant encore très fragile, et qu’il vaut mieux pour elles, qu’elles s’abritent sous le parapluie des grandes entreprises, et de façon générale du patronat. Par exemple, la compréhension et l’analyse des marchés grâce aux études économiques, la part de voix dans l’élaboration des politiques publiques sectorielles, la protection de l’espace économique contre la contrebande. Survivre quand on est une PME, c’est aussi bénéficier du marché interne qu’offre le réseau des chefs d’entreprises, avec un accès direct aux grandes entreprises.
Les centres d’intérêt peuvent être souvent frontalement opposés. Qu’est ce qui soutient la volonté d’union ?
SOREL MOUAFO : oui, les intérêts des grandes entreprises peuvent effectivement être opposés à ceux des dirigeants de PME. Mais, les relations entre PME et GE sont essentielles voire même vitales pour la pérennité de la petite. Il est clair qu’un lien fort unit ces deux entités qui se considèrent très dépendantes les unes des autres. PME et GE manifestent d’importantes différences en termes de mode de fonctionnement, d’intérêts et de type de communication. Ces spécificités constituent des risques de conflits mais sont également source de valeur ajoutée. C’est la complémentarité de ces différences qui permettra la création de valeur ajoutée, qui se révèlera sous la forme d’innovation, ou d’amélioration continue. Le temps où l’on opposait PME et GE est à présent révolu. Toutefois, j’aimerai préciser que cette union selon moi, devrait d’avantage se faire sous la forme de partenariat et non forcement d’existence au sein d’un même regroupement, ce qui permettrait de limiter les éventuelles complications qui pourraient apparaître entre ces deux acteurs pour optimiser la création de valeur ajoutée. Ces complications éventuelles sont en mon sens, ce qui devrait nous préoccuper aujourd’hui.
METCHUM TAYOU : Je défends fortement la coexistence des entreprises de toutes les tailles au sein d’un même Patronat, pour contribuer à décloisonner les modes de fonctionnement, et tirer la PME vers des standards plus exigeants. La performance de la grande entreprise dépend de celle de son écosystème de PME prestataires. Il nous semble donc plus avisé de se fondre dans un mouvement d’ensemble pour se comprendre au mieux, car dans notre environnement volatile, la force ne suffit plus. La grande entreprise est certes forte, mais elle ne se suffit pas à elle-même. Elle a besoin d’un tissu de PME efficientes, qu’elle contribue à développer.
Comment apporter des solutions à la vulnérabilité de la PME au sein d’un Patronat où l’on retrouve GE et PME?
SOREL MOUAFO : Pour ma part, retrouver des PME et des GE au sein d’un même et unique Patronat, que les deux entités puissent en trouver satisfaction et que les missions du Patronat puissent concilier les attentes des deux acteurs avec efficacité, je considère cela comme une utopie. J’ai indiqué plus haut les divergences majeures entre ces deux entités et celle en rapport avec les intérêts de chacun est un indicateur très important quand on sait que la raison d’être d’un Patronat est la défense des intérêts des membres. Vous comprenez qu’il est difficile voire impossible que ce tandem fonctionne au sein d’un même Patronat. Un Patronat de GE qui collabore de façon saine et est en partenariat avec un Patronat de PME, voilà la solution que je préconise pour adresser la problématique de la vulnérabilité de la PME.
METCHUM TAYOU : Le modèle allemand (1ière industrie d’Europe) est plein d’enseignements, et inspire fortement votre proposition : le Mittelstand qui est le réseau des 3.5millions de PME que compte l’Allemagne, est représenté au sein des organisations du patronat, par centre d’intérêt sectoriel la BDA (Confédération des associations patronales allemandes), le BDI (fédération de l’industrie allemande) et la Confédération des chambres de commerce.
Pour nous, nous sommes convaincus que la cohabitation doit être construite autour d’un mix de grandes et petites entreprises, articulé par secteurs d’activités, de façon à faire émerger des PME hautement spécialisées qui sont en amont et en aval de la chaîne de création de valeur au sein de l’écosystème. Peut-être l’effort chez nous aurait été de créer d’abord une confédération de Patronats de PME, pour unifier la voix de la PME avant de rechercher la passerelle avec la grande entreprise et les décideurs publics…( ?)
De quoi ont peur les nombreuses associations et réseaux d’entrepreneurs TPI, PME qui n’adhèrent à aucun Patronat?
SOREL MOUAFO : En réalité, les associations et réseaux d’entrepreneurs TPI, PME n’ont pas peur, elles ne voient tout simplement pas la nécessité d’adhérer à un Patronat qui ne saura pas défendre leurs intérêts avec efficacité. Je suis Présidente d’un réseau d’entrepreneurs et j’ai observé le GICAM, j’ai fait des recherches sur l’efficacité de son Centre de Développement de la PME (CDPME) et je me suis rendue à l’évidence qu’il s’agit principalement d’un organe d’accompagnement, de formation, d’écoute ; ce qui est un soutien non négligeable pour la PME Camerounaise, malheureusement, lorsque j’ai cherché des actions en rapport avec la défense des intérêts des PME j’avoue n’en avoir pas trouvé pour le moment. C’est dire que nous pensons être plus efficaces sur cette question en restant regroupés entre nous les PMEs.
METCHUM TAYOU : il reviendra donc au prochain président du GICAM de convaincre cette formidable force créatrice de rejoindre le mouvement, avec en cheville ouvrière, un véritable savoir-faire en matière de PME. Pour nous, la PME est au cœur de l’économie créative, qui va permettre à notre pays d’effectuer les bonds qualitatifs et quantitatifs dont elle a besoin pour passer le cap 2035.