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Taste power : Comment faire du Cameroun une destination culinaire mondiale

À l’heure où le nation branding occupe une place de choix dans les relations internationales, le Cameroun gagnerait à façonner son image de marque dans le but de se positionner au rang des pays les plus attractifs d’Afrique, d’abord, et du monde, ensuite. Ce « positionnement du pays dans l’esprit » pourrait trouver un écho favorable dans la diversification de son offre touristique au travers de ses cuisines nationales, dont le fort pouvoir invitatif est indéniable. En effet, visiter un pays devrait inévitablement induire la consommation ses spécialités alimentaires, culinaires et hydriques, notamment locales et populaires. Cela revient à dire que ce qu’on mange dans un pays devrait être érigé en indicateur servant à mesurer, construire et polir l’image de marque. Étant donné ces considérations, quelles stratégies permettraient le mieux de faire du Cameroun une destination culinaire de choix ?

Le Cameroun, c’est toute l’Afrique dans une seule assiette. Cette assertion, pour le moins péremptoire, est consécutive à l’extraordinaire géodiversité, biodiversité, ethnodiversité et gastrodiversité du Cameroun. Cet état des faits a une implication directe sur l’alimentation, à savoir précisément qu’on détermine, au Cameroun, le nombre de cuisines en rapport avec le nombre d’ethnies, soit environ 300. Aussi aura-t-on, à titre illustratif, une cuisine zoulgo (Extrême-nord), bafut (Nord-ouest), bakossi (Sud-ouest) mabi (Sud), mbo (Littoral), fali (Nord), baham (Ouest), tikar (Adamaoua), maka (Est), nyokon (Centre). Autre fait qui caractérise ces cuisines, l’origine des mets locaux s’identifie à partir des langues nationales dont sont issus les gastronymes, c’est-à-dire les noms des spécialités alimentaires, hydriques et culinaires, telles que: le folléré (foulfouldé), le ndjapche (shupamem), le eru (kenyang), le kam (gbaya), le bli ngaba (lagouan), l’okok (boulou) ou le  wi’mam (dii). Au rang de ces plats nationaux, ceux qui occupent, ces dernières années, le haut du pavé dans le menu des restaurants populaires des villes de Yaoundé et Douala sont, entre autres, le ndolè, le achu’, le ndomba, l’okok, le mbongoo, le eru, le kati kati. Aussi peut-on affirmer avec certitude que les cuisines camerounaises sont avant tout ethniques. De même peut-on, par ailleurs, relever l’intérêt que revêt cette gastrodiversité, dont l’étendue exacte reste cependant inconnue, pour l’amélioration des aspects culturel et économique du tourisme culinaire au Cameroun.

De ce point de vue, les foods studies sont une source d’inspiration en raison de leur pensée à l’avant-garde d’un tourisme culinaire réussi. Aussi est-il nécessaire, voire impératif, que des travaux scientifiques soient continuellement menés sur les sources et l’historicité des aliments et des arts culinaires du Cameroun. L’objectif à moyen et long terme étant de dresser un Atlas national des spécialités alimentaires, hydriques et culinaires, d’instituer une journée internationale de la cuisine camerounaise et de créer un Institut National de l’Alimentation et des Cuisines. Dans cette suite d’idées, un travail de codification de la cuisine camerounaise est indispensable. Dans cet aspect, la géopolitique des langues mériterait d’être soulevée. Car, les référents linguistiques sont nécessaires à la mise en cohérence des objectifs sus-indiqués. L’un des plats les plus emblématiques du Cameroun illustre bien l’importance de cet aspect. En effet, il se rencontre régulièrement sous plusieurs graphies: ndolèndolaitndoletndolé, etc. Ce flou et cette instabilité permettent d’émettre l’hypothèse d’un manque de vision et de gastrostratégie, qu’il est désormais indispensable de combler.

Au demeurant, si les plats camerounais doivent se partager avec une certaine identité (linguistique dans le cas d’espèce), il apparaît indispensable d’assigner une orthographe normée à tous les gastronymes. Il y a là, de fait, la nécessité de mobiliser, dans un cadre, des experts qui auraient pour mission, non seulement de travailler à la standardisation orthographique et terminologique des camerounismes, mais surtout dans un sens plus large, de constituer une base normative et didactique des toponymes et des anthroponymes. Ainsi, les langues nationales serviraient grosso modo à valoriser les cuisines nationales, au-delà de l’anglais et du français.

Par hypothèse, plus un pays est apprécié pour la qualité de ses cuisines et la richesse de ses orientations alimentaires, plus il est susceptible d’être visité par des gastronomes, particulièrement, et, plus généralement, par toute personne ayant la certitude d’y trouver une satisfaction sensorielle quelconque. Dans cette perspective, faire de l’inclusion alimentaire une valeur cardinale pourrait être un pari rationnel. À partir des habitudes et pratiques alimentaires répertoriées et, éventuellement, cartographiées, il deviendra plus ou moins facile de fournir des informations précieuses aux touristes et investisseurs en quête de découvertes alimentaires, d’expériences gustatives ou bien de régimes alimentaires en rapport avec leurs croyances, leur idéologie et leur état de santé. Ainsi, peut-on attirer un nombre conséquent de personnes qui indifféremment mangent halal ou casher, apprécient des insectes comestibles, recherchent des viandes végétales naturelles, veulent une alimentation végane, testent les épices et aromates endémiques, préfèrent les farines sans gluten ou encore rationnent le sucre, le sel et les matières grasses.

Le troisième aspect de ce programme consisterait à faire progresser l’idée que le dressage et la photographie sont plus que déterminants dans l’univers du marketing culinaire. En effet, la présentation des plats, des lieux et des situations qui se rapportent à la commensalité doivent être empreints, quels que soient les médias de diffusion, à la fois de professionnalisme et de séduction. Pour ce faire, les professionnels des métiers de bouche devraient être édifiés sur le bien-fondé de la communication visuelle. En un mot comme en mille, n’importe quel touriste doit pouvoir y trouver son compte, pour ne pas dire ses goûts et ses couleurs.

L’inscription d’un élément sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel, au-delà d’être un acte de sauvegarde au musée mémoriel à l’Unesco, revêt un enjeu de taste power, c’est-à-dire le fait d’amener des personnes à consommer certaines spécialités par des méthodes non contraignantes. Vu sous cet angle, y conserver ses savoirs et savoir-faire culinaires relève plus que toute autre chose d’une démarche stratégique, d’autant plus que l’acquisition du « titre de propriété culturelle », à l’issue de ce processus, confère à l’État titulaire un droit, non pas nécessairement de paternité, mais davantage d’exclusivité dans les échanges culturels, voire économiques. Pour y parvenir, il convient de convoquer la gastrodiplomatie, une approche des relations internationales qui vise à conquérir le monde au moyen de la cuisine.

Le tourisme culinaire est avant tout un acte politique. Il revient donc à l’État d’opérer un choix stratégique des food-appeal, c’est-à-dire des spécialités alimentaires, hydriques et culinaires au fort potentiel d’attractivité. Lesdites spécialités doivent, en outre, présenter un grand intérêt pour la cognition et la transmission intergénérationnelle. Il faut tenir compte, en dernier ressort, de la transversalité et de l’inclusion de ces plats, à savoir qu’ils se retrouvent chez différentes ethnies et régions du Cameroun, même si les gastronymes pour les désigner s’avèrent différents.

Dans cette logique, le Cameroun pourrait présenter, sur deux décennies, une dizaine de candidatures à l’Unesco. Dans un premier temps, le choix pourrait être porté sur le achu’, l’endomba et le mboussiri. Ces plats s’avèrent de bons ambassadeurs du tourisme camerounais, d’après les critères sus-mentionnés. Originaire du Grand-Ouest, le achu’ est une pâte culinaire molle à base de taro pilé dans un mortier généralement cratériforme; il s’accompagne soit d’une sauce jaune, une émulsion stable huile de palme/eau, soit d’une sauce noire, sans huile de palme dans ce cas. Ces sauces, prises au sens gastronomique du terme, peuvent être considérées comme des plus élaborées du monde en raison, notamment, de la diversité des épices et aromates endémiques utilisés, jusqu’à une vingtaine. Généralement servi sous la forme d’un lac de cratère, le pourtour du achu’ peut être garni, selon les préférences, de morelle noire, de viande ou de poisson, d’aubergine africaine, de champignon ou encore de pâte culinaire à base de graine de courge. L’endomba, quant à lui, est un terme générique pour désigner toutes les papillotes végétales que l’on retrouve principalement dans les régions du Grand-Sud. Il s’agit, entre autres, du ndomba, du miondomintoumba, du bobolo ou du koki. Le mboussiri, enfin, renvoie à un ensemble de bouillies faites à partir des farines sans gluten de maïs, de sorgho, de millet. Habituellement agrémenté de lait, de natron, de citron, de tamarin ou encore de grains de céréales, le mboussiri est principalement consommé dans les régions du Grand-Nord avec des beignets sans gluten tels que le kossaï, le massé ou le waïna.

La labellisation prochaine du cacao rouge du Cameroun à l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) portera à trois le nombre des Indications Géographiques Protégées détenues par le Cameroun. Si ces reconnaissances, empreintes d’une garantie de provenance et de savoir-faire, participent à la rentrée des devises étrangères et assurent un rayonnement international réel, il y a lieu de reconnaître, cependant, que ces produits d’exception ne sont pas suffisamment mis en valeur dans les préparations culinaires sur le territoire national, encore moins à l’étranger, notamment par les chefs camerounais. Ce genre de manquements et de contradictions sont malheureusement monnaie courante. Et pour y remédier, il urge de réinventer la cuisine camerounaise et de (re)construire toute une culture culinaire endogène. Parmi les solutions envisageables, il faut intégrer les éléments de cuisine nationale dans les manuels scolaires des Langues et Cultures Camerounaises (LLC), organiser des concours et compétitions culinaires de qualité, multiplier les évènements culturels, économiques et scientifiques qui visent à vulgariser les savoirs et savoir-faire culinaires, encourager et accompagner la création des écoles de cuisine qui accordent une place significative aux cuisines locales et créer des parcours de food studies dans les universités publiques et privées.

La toile est et reste l’un des meilleurs terreaux pour la promotion des cuisines. Les stratégies d’influence qui y sont appliquées ont une portée mondiale. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le travail qu’abat, entre autres, Nathalie Brigaud Ngoum son blog envoleesgourmandes.com. C’est dire l’importance qu’il y aurait à faire appel, mais également à former régulièrement les blogueurs, les influenceurs et les acteurs du made by Cameroonians pour viser un impact significatif et rentable. Car, il faut avoir à l’esprit que les contenus de ceux-ci peuvent et, même doivent, donner envie aux internautes de visiter ou de revisiter le Cameroun.

Faire du Cameroun la terre promise des amateurs de la cuisine inclusive est un défi du domaine du possible. D’une part, parce que l’environnement socioculturel est propice. Et d’autre part, en raison du fait qu’il existe un remarquable potentiel alimentaire. Il ne reste, dès lors, plus qu’à mettre en place un ensemble de stratégies pour valoriser et vulgariser les cuisines camerounaises et pour attirer les cuisinomanes du monde. 

Par TÉGUIA BOGNI , Gastrostratège, Chargé de recherche au Centre National d’Éducation/Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (Cameroun) 

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