Les comptes de la société Alucam pour les exercices allant de 2017 à 2021, viennent d’être audités par la Chambre des comptes de la Cour suprême. Le rapport récemment publié par cet organe montre que la situation l’établissement industriel qui œuvre dans la production et la transformation de l’aluminium primaire au Cameroun, n’a pas pris l’ascenseur, mais a carrément chuté du sommet, avec à la clé, des irrégularités dans certains soldes en balance de clôture.
Fiabilité incertaine
C’est le constat au terme de l’audit. La chambre des comptes évoque dans son rapport, « un certain nombre d’anomalies substantielles dans les comptes d’Alucam ». Concrètement, elle déplore « des discordances entre des soldes de clôture de la balance en année ‘’n’’ et les soldes d’entrée de la balance en année n+1, des anomalies dans le sens des comptes de certains soldes en balance de clôture et dans le traitement comptable des provisions ou l’absence de régularisation de certaines opérations dans le cadre du rapprochement bancaire ».
Pourtant, informe le document, les comptes de l’entreprise ont été certifiés « sans réserve » par deux commissaires aux comptes, le cabinet Pricewater house Coopers et la SEACA (cabinet EKOKA) dont les premiers mandats datent de 2004.
Résultats déficitaires
Les finances de l’entreprise se sont fortement détérioréesentre 2017 et 2021. Par exemple le chiffre d’affaires qui est passé de 123,4 milliards FCFA en 2017 à 91,9 milliards FCFA en 2021, soit une baisse de 25,5%. Au cours de l’exercice 2019, l’écart s’est davantage creusé avec un chiffre d’affaires de 77,8 milliards FCFA. Le résultat net de l’entreprise a été déficitaire à hauteur de 45,667 milliards FCFA sur l’ensemble de la période, « avec 3 exercices (2018, 2019 et 2020) fortement déficitaires, et un retour à l’équilibre en 2021 après la fusion avec la Socatral ».
Les paiements aux fournisseurs de plus en plus difficiles
Le plan de restructuration de l’entreprise a été élaboré en 2019. Le projet d’une valeur de 43 milliards FCFA n’a pas évolué au 31 décembre 2021. En conséquence, le fonds de roulement d’Alucam est devenu de plus en plus « fortement négatif » à hauteur de – 48,9 milliards FCFA fin 2021. Cette contre-performance est observée depuis 2019, où les capitaux propres de l’entreprise sont négatifs.
Cette situation ne permet plus de payer normalement les fournisseurs. « La situation est particulièrement difficile envers Eneo, le principal fournisseur et principal créancier de la société », explique le rapport. A cet effet, deux accords de subrogation des dettes d’Alucam envers cette entreprise ont été signés pour un total de 47,7 milliards FCFA, soit 33,7 milliards FCFA pour la première et 14 milliards FCFA pour la seconde, en vue de financer partiellement la dette due à Eneo.
L’impératif d’une restructuration
40% des cuves d’électrolyse d’Alucam ne fonctionnent pas depuis 2018, du fait d’un accident sur le réseau électrique alimentant la société, qui a provoqué un incendie dans la sous-station électrique et un arrêt de la fourniture d’énergie. Les dommages ont été évalués à 16,9 milliards FCFA, sans tenir compte des pertes de chiffres d’affaires consécutives à cet évènement.
La production d’aluminium a diminué au cours de la période évaluée. L’aluminium primaire destiné à l’exportation a régressé de 73 759 tonnes en 2017 à 34 431 tonnes en 2021, soit une baisse totale de 53,3%.
La baisse continue de la production ne s’est pas accompagnée d’une baisse proportionnelle des coûts fixes, si bien que la contribution de l’activité « fonderie » au résultat de la société, qui était positive en 2017 à + 6,3 milliards FCFA, est devenue de plus en plus négative, passant de – 11,1 milliards FCFA en 2018 à -37,8 milliards FCFA en 2021. Cette activité est donc au cœur de la dégradation des comptes de la société.
Face à toutes ces difficultés, la recapitalisation de la structure apparaît comme l’unique solution. Sur tous les objectifs que visaient le plan de restructuration, une seule mesure a été exécutée. Il s’agit de la fusion Alucam-Socatral, qui a permis de revenir à un résultat légèrement positif en 2021.
La Chambre des Comptes fait observer qu’en l’absence de recapitalisation de la société, l’hypothèse qui risque de s’imposer sera l’abandon de l’activité de fonderie. Ainsi, « pour espérer revenir à l’équilibre, Alucam doit en effet impérativement investir dans la remise à niveau de son outil de production endommagé pour certains et obsolète pour d’autres, ainsi que dans la modernisation de sa sous-station électrique, d’où la nécessité d’une recapitalisation ». Sans cette recapitalisation, l’entreprise s’expose davantage au risque de voir son activité fonderie continuer à entraîner des pertes.
« Sauf à ce que l’activité de laminage monte en puissance et compense les pertes de l’activité fonderie, la société risque à terme de se retrouver en cessation de paiement, c’est-à-dire dans l’incapacité de payer ses fournisseurs qui subissent déjà de très longs délais de paiement, voire dans l’incapacité de payer les salariés », précise le document.
Le rapport a émis des recommandations à la fois à l’endroit du gouvernement et de l’entreprise. Au gouvernement, il est demandé d’envisager rapidement une recapitalisation, afin de permettre à l’entreprise de remettre à niveau son outil de production de fonderie, et de revenir à une production annuelle d’aluminium primaire de l’ordre de 110 000 à 120 000 tonnes. « A défaut de la recapitalisation par l’Etat ou de la cession d’une partie du capital social à un investisseur privé, et en l’absence d’alternative à l’accumulation des pertes, étudier la solution d’un arrêt de l’activité fonderie ».
Le Directeur général quant à lui est tenu de saisir la juridiction compétente d’une demande d’indemnisation pour les dommages consécutifs à l’incendie de la sous-station électrique du 10 janvier 2018 ; d’engager la cession des actifs non stratégiques de la société conformément au plan de restructuration, entre autres.
Vers la privatisation d’Alucam ?
Dans un article publié le 14 février 2025, L’Economie annonçait déjà que le gouvernement camerounais, a entamé des pourparlers avec la société d’investissement singapourienne Eagle Eye Asset Holdings, pour une éventuelle cession de son actif de transformation d’alumine en aluminium dans cette entreprise publique. Des discussions préliminaires au sujet d’une privatisation sont en cours depuis plusieurs mois entre la présidence et la société d’investissement à capitaux singapouriens dirigée par l’Indien Pramod Prusty et basée à Dubaï, Eagle Eye Asset Holdings, connu également sous le nom de Fortuna Holdings. Cette démarche vise à revitaliser l’entreprise et à sortir de l’impasse financière actuelle.