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Cameroun, un pays en danger

La suppression de la subvention du prix du carburant à la pompe et la hausse généralisée des prix qui s’en suivra mettent le Cameroun en danger.

Le Cameroun est en danger. Non pas seulement du fait de l’impact négatif majeur qu’aurait sur les conditions de vie des populations l’augmentation mécanique du prix du carburant à la suite de la suppression annoncée par le Gouvernement de la subvention des produits pétroliers.

Ce danger est aggravé par ce que semble être l’incapacité du gouvernement à avoir une vision holistique, c’est-à-dire intégrant toutes les dimensions de la problématique économique de notre pays qui s’enlise chaque jour davantage dans des performances économiques médiocres. Il est à craindre que cet état de fait mène, non pas seulement vers une récession conjoncturelle, mais bien vers une crise structurelle d’une ampleur comparable à celle que le pays a connue dans les années 1980-2000.

Dans un contexte mondial où l’inflation qui est le monstre de déstructuration économique des pays pousse les gouvernements à garder l’œil rivé sur le pouvoir d’achat des populations notamment celui des couches à faible revenu qui représentent environ 80% de la population de notre pays, en supprimant la subvention sur le carburant, le Gouvernement camerounais va donner une impulsion énergique à ce monstre comme si un pompier, pour éteindre des flammes, dirige vers elles sa pompe crachant de l’essence. L’inflation qui en résultera dissoudra le pouvoir d’achat des populations à un niveau jamais atteint dans notre pays. Les conséquences négatives seront telles que les coûts économiques directs et indirects générés seront de loin beaucoup plus élevés que les économies budgétaires visées. 

Dans un contexte où le sous-emploi et le chômage avoisinent, d’après les estimations généralement admises respectivement 70 % et 30 %, le pays s’installera alors dans une stagflation durable dont le lit est justement le couple inflation- chômage. 

 Pire, deux des domaines vitaux sur lesquels repose la vie des populations seront plongés dans la tourmente. Il s’agit d’abord de la mobilité qui de nos jours est de plus en plus chère pour les masses populaires, le coût de déplacement en motos taxis coûtant généralement 3 à 4 fois plus cher que ce qu’il aurait été dans les transports conventionnels.

Il s’agit ensuite des prix des produits alimentaires agricoles, leur évacuation vers les centres de consommation subissant de plein fouet les conséquences de la hausse annoncée du carburant qui impacte automatiquement sur le coût d’acheminement vers les marchés et les centres de consommation.

Renchérissement de la vie et paupérisation des populations, taux de chômage et de sous- emplois élevés, perspectives illisibles de l’action gouvernementale: voilà qu’à nouveau, ne semblant guère s’en soucier, le Gouvernement réunit tous les ingrédients qui ont conduit à la révolte de 1998 et aux massacres qui s’en sont suivis. Le sens de la responsabilité a-t- il déserté l’esprit de certains qui sont aux leviers de l’État, lorsqu’on ne les soupçonnerait pas de recourir à des effets comme mode d’auto- célébration à visée facile à imaginer? 

MYOPIE ÉCONOMIQUE 

En fait, l’unanimité suspecte de la campagne médiatique de ces derniers jours accorde la prééminence aux seuls problèmes budgétaires dont la suppression de la subvention fait partie, ne s’intéresse qu’au bas de bilan, c’est-à-dire la trésorerie immédiate de l’État, au grand plaisir du FMI. Certains esprits avisés pensent qu’il pourrait s’agir d’une myopie voire d’une incurie économique, toute chose qui serait consciente et relèverait du cynisme ou alors serait inconsciente et relèverait de l’incompétence, selon l’angle où on se place. 

Dans les deux cas, le but recherché est de l’opinion sur les solutions systémiques et structurelles qui devraient plutôt être engagées. Le fait est qu’on voit un Gouvernement ramer à contre-courant en s’interdisant d’examiner un problème sous un angle plus pertinent. 

Dans le cas d’espèce, plutôt que d’imputer les problèmes de trésorerie de l’ État à la subvention payée pour les carburants, ce Gouvernement aurait été plus avisé et crédible s’il réduisait d’abord les dépenses somptuaires du train de vie de ses édiles, un serpent de mer, toujours évoqué, jamais matérialisé, une mesure qui pourrait permettre des économies d’un ordre équivalent à celui prêté à la subvention des produits pétroliers. 

OU EST DONC PASSÉE LA CSPH?

Un deuxième geste serait de se pencher sur la structure des prix publics des produits pétroliers et analyser la part prélevée par l’Etat au titre de la fiscalité pétrolière par le truchement du Trésor et de la CSPH entendue Caisse de Stabilisation des Hydrocarbures. L’analyse de cette structure pourrait révéler que l’Etat bénéficie déjà de prélèvements élevés sur chaque litre de carburant commercialisé. Le couplet tonitruant des subventions qui ruinent l’État pourrait se révéler être un mensonge d’Etat au regard de ce que cet État associé à la CSPH se nourrit déjà grassement dans la vente du carburant. 

La posture du Gouvernement est d’autant plus suspecte qu’il faut se demander où est passée la réserve de stabilisation constituée par la taxe payée par les opérateurs du secteur à la CSPH et qui devrait justement intervenir pour stabiliser les prix à la pompe conformément à ses missions. On ne devrait donc pas parler de  » suppression de subvention » si l’argent de la CSPH était mis à contribution. C’est le lieu de se poser la question: où est la CSPH???

A ce stade et au niveau de doute où nous en sommes, il n’est en effet pas à exclure qu’après avoir épuisé toutes les sources de recherche d’argent dans les emprunts à des taux non concessionnels, le relèvement des prélèvements fiscaux et douaniers, le Gouvernement n’utilise la feuille de vigne de l’annonce de la suppression de la subvention qui entraînera mécaniquement une hausse des prix du carburant, pour masquer une intention d’accroître les prélèvements de taxes pétrolières d’un Etat installé dans une logique d’essorage financier des agents économiques un procédé par lequel il se donnera une source additionnelle de revenus pour assouvir ses besoins en forme de tonneau de danaïdes, c’est à dire ne pouvant jamais être remplis.

LE RÔLE TROUBLE DU FMI

Et entre en jeu le FMI, ce banquier des pays  » broke », qui ne souffre pas de voir un pays s’échapper de son giron et qui sait multiplier des astuces d’usurier pour l’y maintenir. 

Le Cameroun se prête malheureusement à ce jeu de viol consentant, alors qu’après l’atteinte du point d’achèvement, le pays était en possibilité d’accéder au statut qu’a atteint le Ghana en soldant ses comptes avec le FMI et en recouvrant l’autonomie de sa gestion financière. Car il faut le savoir, le Gouvernement maintient notre pays dans une situation de dépendance financière immorale vis-à-vis de cet organisme comme prix de son incapacité à formuler depuis des années une politique économique. De façon scandaleuse, ce sont depuis deux décennies les revues périodiques du FMI qui semblent fixer les orientations, le cadre et les priorités de la gestion financière de notre pays, un fait rendu possible par la vacuité et la faiblesse du leadership économique national. 

Et pourtant, le FMI n’a ni les capacités, ni la mission de satisfaire et soutenir le Cameroun dans ce dont il a aujourd’hui besoin: le développement économique, et pour cause, Brettonwoods a quatre guichets. Le premier guichet est la BIRD, entendez Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement communément appelé Banque Mondiale. C’est ce guichet qui finance les grands projets de développement pouvant atteindre des milliers de milliards CFA sur une très longue période. Ses financements portent des opérations dit de haut de bilan dont les infrastructures et les équipements à des taux concessionnels de 2 à 3%.

Le deuxième guichet est le FMI, Fonds Monétaire International, spécialisé dans les opérations de trésorerie, c’est-à-dire de bas de bilan, qui emprunte de l’argent sur les marchés financiers pour les prêter à des taux quasi commerciaux aux Etats qui présentent des difficultés ou sont en crise de trésorerie, sur des périodes plus courtes comprises entre 7 et 10 ans. 

Le troisième et le quatrième guichet sont l’IDA qui accorde des dons non remboursables plafonnés à moins de cinq milliards CFA. Nous citerons enfin la SFI, Société Financière Internationale qui accorde des prêts aux entreprises. 

Dans le principe, le Cameroun devrait être plutôt un client assidu de la Banque Mondiale, dont le profil des missions et des ressources permet un renforcement des équipements qui boosteraient l’activité et qui généreraient des richesses dans une transformation structurelle souhaitée par le pays. C’est la « première division ». L’image plutôt mitigée du pays du fait d’une perception de risque politique élevé plombe plutôt malheureusement son attractivité pays, ce qui réduit considérablement sinon annule son éligibilité à ce guichet qui est celui sur l’appréciation duquel les autres pourvoyeurs de financement à taux concessionnels s’inspire, faisant pour l’heure du Cameroun un pays quasi paria dans les cercles des grands prêteurs internationaux. 

Profitant de cette faiblesse structurelle et encouragée par une certaine léthargie dans laquelle se berce notre Gouvernement, le FMI s’impose et impose au Cameroun de jouer en « deuxième division « , celle des pays chroniquement malades des pathologies du bas de bilan c’est à dire de trésorerie et de fins de mois difficiles et pouvant bénéficier des oboles de l’IDA. 

Voilà le tableau de la situation et des contraintes qui aujourd’hui mettent le Cameroun en danger. Il est impératif que le Gouvernement en prenne conscience plutôt que de continuer à se pâmer dans des incarnations païennes alors que le pays semble avancer vers un précipice économique. Doivent être pris à bras le corps autant les problèmes macro comme l’aggiornamento du modèle économique que les problèmes micro comme pour n’en citer qu’un la rareté des pièces de monnaie, un problème qui à tort est négligé depuis près d’une décennie par le Gouvernement. 

Si on fait un arrêt sur ce problème de la rareté des pièces de monnaie, il est important de souligner que 80 % de la population étant à faible revenu, l’essentiel de leurs transactions se font en petite monnaie. Le fait qu’un nombre significatif de ces transactions ne peuvent aboutir contribue à limiter la vitesse de circulation de la monnaie, ce qui a un impact négatif direct sur la création de revenu selon la formule « R= MV » familière aux étudiants en sciences économiques.

Voilà comment un problème apparemment mineur et mal appréhendé par le Gouvernement peut avoir un effet important sur l’économie du pays. 

Cet exemple conduit à recommander un renforcement des capacités et d’intelligence économiques du Gouvernement d’une part, d’autre part, la volonté d’autonomie de la gestion financière de l’État débarrassée de la béquille du FMI. 

Plutôt que de ne penser qu’aux problèmes de bas de bilan, la politique économique du Gouvernement doit s’élever. Elle doit viser à offrir aux populations un paquet minimum du pacte républicain composé de l’eau, l’électricité, la route, l’éducation de base et la santé primaire auxquels doit s’ajouter l’emploi, en encourageant l’établissement d’activités de production et de transformation des produits agricoles dans les territoires des communes, impulsant ainsi l’exode urbain. C’est de cette manière que pourra être donné sens à la Décentralisation économique seule à même d’engager cette transformation structurelle dont notre pays a tant besoin. C’est par cette posture que les dangers qui pèsent sur l’avenir proche de notre pays peuvent être écartés. 

Célestin Bedzigui 

Président du PAL

Élu local

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