1. Contexte énergétique et climatique sénégalais : une mutation à enjeux multiples
En tant que producteur d’hydrocarbures, le Sénégal entre dans une phase critique où ses ambitions de développement énergétique doivent s’articuler avec les impératifs climatiques internationaux.
Avant le démarrage de l’exploitation des gisements offshore, le Sénégal émettait environ 10 millions de tonnes de CO₂e/an, issues principalement du secteur des transports, de la production d’électricité au fioul, et des pratiques agricoles.
Pour estimer le niveau de pollution lié à l’exploitation des gisements d’hydrocarbures au Sénégal, il faut considérer plusieurs sources d’émissions : l’amont pétrolier et gazier (production, torchage, fuites de méthane) et l’aval (utilisation du gaz ou du pétrole).
1. Émissions directes de la production pétrolière et gazière
Le champ Sangomar (pétrole offshore) vise 100 000 barils/jour.
Le projet GTA (gaz) prévoit environ 2,5 millions de tonnes de GNL/an.
Selon les standards internationaux :
1 baril de pétrole produit = ~0,4 tonne de CO₂e (incluant extraction, transport, torchage).
1 tonne de gaz extrait = ~2,7 tonnes de CO₂e (incluant méthane, liquéfaction, transport).
• Estimation brute annuelle :
Sangomar : 100 000 barils/jour x 365 = 36,5 millions de barils/an
→ 36,5 M x 0,4 tCO₂e = ~14,6 MtCO₂e/an
GTA : 2,5 Mt/an x 2,7 tCO₂e = ~6,75 MtCO₂e/an
Total estimé : ~21 à 22 MtCO₂e/an (émissions directes et fugitives).
2. Comparaison avec les émissions actuelles du Sénégal
Le Sénégal émet actuellement environ 10 MtCO₂e/an (tous secteurs confondus).
L’exploitation des hydrocarbures nationales brutes, si elles ne sont pas maîtrisées par des normes strictes (zéro torchage, captage du méthane, etc.).
3. Émissions indirectes
Si les hydrocarbures sont exportés et brûlés ailleurs (par ex. pour le GNL), les émissions comptent dans le pays importateur.
Mais d’un point de vue global, cela ajoute encore ~50 à 70 MtCO₂e/an selon l’usage des produits exportés.
Si aucune mesure d’atténuation n’est prise, l’exploitation pétro-gazière pourrait tripler l’empreinte carbone nationale. Cela pose un vrai défi pour la cohérence climatique du Sénégal, surtout en tant que pays engagé dans une transition énergétique.
2. Impact attendu de l’exploitation pétrolière et gazière
Si le cumul total de la pollution après exploitation des hydrocarbures est plus adéquat ou soutenable que la situation avant l’exploitation, il faut comparer l’évolution des émissions nationales totales en tenant compte de trois dynamiques clés :
1. Avant exploitation :
Le Sénégal émettait ~10 MtCO₂e/an, principalement à cause :
du transport (fioul, diesel),
de la production d’électricité (centrales au fioul),
de l’agriculture et de la déforestation.
2. Après exploitation, sans précaution :
Ajout des émissions du secteur hydrocarbures (Sangomar + GTA) : 21 à 22 MtCO₂e/an
Nouvel ensemble : ~31 MtCO₂e/an, soit une multiplication par 3 des émissions nationales.
3. Mais en tenant compte des gains liés à la transition énergétique :
Fermeture progressive des centrales au fioul → gain de ~1 à 2 MtCO₂e/an.
Utilisation du gaz domestique pour produire de l’électricité : jusqu’à 50 % moins émetteur que le fioul.
Montée en puissance des renouvelables : énergie zéro carbone.
Exportation d’une partie du gaz/pétrole : les émissions de combustion ne sont pas comptabilisées dans le bilan du Sénégal.
Donc le cumul total de pollution augmentera inévitablement avec l’exploitation des hydrocarbures.
Mais si le Sénégal réussit sa transition énergétique (gaz + renouvelables), cette hausse peut rester modérée et maîtrisée, mieux que si le pays restait dépendant du fioul/diesel.
3. Transition énergétique : un levier de maîtrise des émissions
Stratégie : fermeture des centrales fioul, renouvelables, gaz naturel.
Scénarios d’émissions :
– Avant exploitation : ~10 MtCO₂e/an
– Sans transition : ~31 MtCO₂e/an
– Avec transition : ~15-20 MtCO₂e/an
4. Positionnement climatique du Sénégal dans le cadre mondial
À l’échelle planétaire, 0,2 % des émissions mondiales = 80 MtCO₂e/an. Le Sénégal reste en dessous même avec exploitation maîtrisée.
5. Crédits carbone : un relais économique et stratégique
Les revenus varient selon la réduction d’émissions et le prix unitaire du crédit carbone.
Si le Sénégal parvient à maîtriser ses émissions malgré l’exploitation des hydrocarbures, il peut non seulement rester sous le seuil des 0,2 % d’émissions mondiales, mais aussi tirer des bénéfices économiques liés au marché du carbone et à sa posture de pays « propre ».
1. Renforcement de l’attractivité climatique et financière
Être sous le seuil de 0,2 % des émissions mondiales (soit ~80 MtCO₂e actuellement) permet au Sénégal de conserver un profil bas-carbone, favorable aux investissements verts.
Cela augmente l’accès aux financements climatiques (Fonds Vert pour le Climat, Banque mondiale, etc.).
2. Revenus potentiels par les crédits carbone
En réduisant ou évitant certaines émissions (grâce aux renouvelables, à l’efficacité énergétique, au gaz à la place du fioul), le Sénégal peut générer des crédits carbones vendables.
Sur les marchés volontaires, 1 crédit carbone = 1 tonne de CO₂ évitée.
Si le Sénégal génère 2 à 5 MtCO₂e/an de réduction nette, cela représente :
2 à 5 millions de crédits/an
À un prix moyen de 5 à 20 $/tonne → 10 à 100 millions $/an de revenus potentiels.
3. Diversification économique
Le marché du carbone devient un levier économique complémentaire aux recettes des hydrocarbures.
Il favorise aussi les projets agroforestiers, solaires, de cuisson propre… avec retombées locales et rurales.
4. Image internationale et diplomatie verte
Le Sénégal peut se positionner comme un modèle africain de gestion responsable des ressources fossiles.
Cela donne un poids dans les négociations climatiques (COP, financement, partenariats bilatéraux).
En résumé :
Si le Sénégal maîtrise ses émissions malgré l’exploitation, il reste largement en dessous du seuil mondial (0,2 %), et peut transformer cela en un avantage économique, environnemental et diplomatique, via les crédits carbones, les financements climatiques et l’attractivité verte.
6. Positionnement stratégique du consultant
Accompagnement des projets hydrocarbures avec stratégie carbone intégrée, structuration de projets de crédits carbone bancables, plaidoyer diplomatique.
Conclusion
Le Sénégal se trouve à un carrefour énergétique. L’exploitation pétrolière et gazière peut être une opportunité de transformation positive, si elle est accompagnée d’un cadre rigoureux d’atténuation, de valorisation carbone et de transition.
Avec les bons outils d’analyse, un plaidoyer diplomatique fort, et une stratégie économique verte, le pays peut concilier hydrocarbures et ambition climatique, tout en générant de nouvelles sources de revenus et d’influence.
Tableau 1 : Hypothèses de revenus potentiels liés aux crédits carbones
Réduction (MtCO₂e/an) | À 5 USD/t | À 10 USD/t | À 20 USD/t |
1 Mt | 5 M USD | 10 M USD | 20 M USD |
3 Mt | 15 M USD | 30 M USD | 60 M USD |
5 Mt | 25 M USD | 50 M USD | 100 M USD |
10 Mt | 50 M USD | 100 M USD | 200 M USD |
Tableau 2 : Équivalences d’émissions de gaz à effet de serre (CO₂e)
Type d’hydrocarbure / source | Émissions (tonnes CO₂e) |
1 baril de pétrole (combustion) | ≈ 0,43 tCO₂e |
1 tonne de pétrole brut | ≈ 3,1 tCO₂e |
1 tonne de GNL (gaz naturel liquéfié) | ≈ 2,7 tCO₂e |
1 m³ de gaz torché (méthane) | ≈ 25 tCO₂e (par tonne de CH₄) |
1 MWh produit au fioul | ≈ 0,75 tCO₂e |
1 MWh produit au gaz | ≈ 0,45 tCO₂e |
1 voiture (essence) par an | ≈ 2,4 tCO₂e |
Figure 1 : Mix énergétique projeté du Sénégal avec transition
Figure 2 : Évolution des émissions nationales (avant/après exploitation)
Figure 3 : Revenus potentiels issus des crédits carbone