Monsieur le Président de la République,
L’événement financier le plus marquant au Cameroun en 2024 nous semble avoir été l’opinion défavorable émise le 15 octobre 2024 par la Chambre des Comptes de la Cour Suprême sur les états financiers de l’Etat du Cameroun (le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux des opérations de trésorerie et l’état annexé) pour l’exercice 2023. L’extrait de cette opinion dit ceci : « La Chambre des Comptes certifie, qu’en raison de l’importance des questions décrites dans la section « Fondement de l’opinion défavorable » de son rapport, les états financiers ci-joints ne sont, dans tous leurs aspects significatifs, ni réguliers, ni sincères, et ne donnent en conséquence pas l’image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’Etat, conformément aux règles et normes comptables de l’Etat. » (page 6).
Par cette certification, la Chambre a éclairé pour la première fois au Cameroun, le Parlement, le Gouvernement, les citoyens et plus largement toutes les parties prenantes intéressées. Elle a en effet fait le constat de la mauvaise qualité des informations économiques et financières contenues dans ces documents qui rendent compte des performances de l’Etat.
En clair, le Ministère des Finances n’a pas élaboré les états financiers de l’exercice 2023 conformément au règlement général de la comptabilité publique (décret n° 2020/375 du 07 juillet 2020) et du plan comptable de l’Etat (décret n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019) qui sont alignés aux International Public Sector Accounting Standards (IPSAS) publiées par l’International Federation of Accountants (IFAC).
Les normes comptables adéquates jouent un rôle crucial et déterminant dans le reporting, l’évaluation des performances et la régulation des entités publiques et privées dans les divers secteurs de l’économie. Le secteur financier ou le marché des capitaux est particulièrement sensible à la spécificité et à l’adéquation des normes comptables applicables permettant une régulation efficiente des divers métiers et des performances élevées des entités financières. L’entrée en activité de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC) en 2024 a mis en lumière une série de problématiques découlant des choix stratégiques et technologiques d’organisation des principales institutions financières publiques camerounaises.
La présente lettre de réforme vise deux (2) objectifs principaux : (i) éclairer le dialogue en cours sur la régulation des activités de la CDEC entre le Gouvernement camerounais et les institutions financières de la CEMAC notamment la BEAC et la COBAC et (ii) identifier les insuffisances afin de vous recommander quelques mesures clés de réorganisation permettant de positionner lesdites institutions financières à la frontière technologique de la finance dans l’optique de l’amélioration continue de leurs performances tout comme celles de la place financière du Cameroun. Il s’agit en particulier de : (i) la CDEC, (ii) la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA), (iii) le Fonds Spécial d’’Equipement et d’Intervention Intercommunale (FEICOM), (iv) la Société Nationale d’Investissement (SNI). La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) étant présentée en modèle de référence.
1. Faire du Cameroun, une place financière de référence continentale de premier rang
Dans l’optique de la transformation du système financier visée par la SND30, « l’objectif fixé par le Gouvernement est de faire du Cameroun, à travers un ensemble de réformes, un pays ayant une place financière de premier rang capable de soutenir activement l’industrialisation et donc la transformation structurelle de l’économie du pays » (clause 239).
La place financière du Cameroun tire ses fondements technologiques et institutionnels d’organisation, de fonctionnement et de régulation sur trois (3) principaux Traités internationaux souverainement ratifiés par l’Etat du Cameroun et axés sur l’intégration régionale et continentale du secteur financier.
Primo, le Traité du 16 mars 1994 instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui s’est traduit en l’occurrence par la convention du 05 juillet 1996 régissant l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC). Cette union s’est concrétisée, tout d’abord par la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire (marché bancaire ou de l’intermédiation financière) dans les Etats de l’Afrique Centrale avec un régulateur unique la Commission bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) qui s’appuie en l’occurrence sur une norme comptable de référence, le Plan comptable des établissements de crédit, et ensuite par le règlement n° 01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF du 21 juillet 2022 portant organisation et fonctionnement du marché financier de l’Afrique Centrale avec comme régulateur unique la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF) qui s’appuie sur une norme comptable de référence, soit le Plan comptable des établissements de crédit soit le Plan comptable des intermédiaires financiers.
Secundo, le Traité du 10 juillet 1992 instituant une Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA) avec un régulateur unique, la Commission régionale de contrôle des assurances (CRCA) qui s’appuie notamment sur une norme comptable de référence, le Plan comptable particulier à l’assurance et à la capitalisation.
Tertio, le Traité du 21 septembre 1993 instituant une Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES) avec comme régulateur unique, la Commission de surveillance de la prévoyance sociale (CSPS) qui s’appuie en particulier sur une norme comptable de référence, le Plan comptable CIPRES des organismes de sécurité sociale.
La frontière technologique de la finance moderne met en valeur l’importance critique d’une régulation indépendante, professionnelle et efficiente pour le bon fonctionnement et le développement du marché des capitaux en protégeant ainsi les épargnants, les déposants, les emprunteurs, les investisseurs et les assurés. Dans le cadre des trois (3) Traités internationaux cités plus haut, le marché des capitaux du Cameroun bénéficie donc des services de quatre (4) régulateurs spécialisés par segment : la COBAC, la COSUMAF, la CRCA et la CSPS. Ce sont ces gendarmes de la place financière du Cameroun qui contrôlent et sanctionnent si nécessaire toutes les entités financières et d’assurance. Ils agréent et supervisent aussi les commissaires aux comptes qui doivent certifier leurs états financiers. Les recours contre les décisions de ces régulateurs se font auprès des institutions régionales compétentes (la Cour de justice de la CEMAC, le conseil de ministres de la CIPRES ou de la CIMA).
C’est dans ce contexte que la place financière du Cameroun a déjà accumulé quelques atouts d’attractivité. Elle accueille des sièges des institutions financières continentales ou régionales (le Fonds Monétaire Africain -FMA, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale – BEAC, la Bourse Régionale de l’Afrique Centrale –BVMAC et la Caisse Régionale de Dépôt des Valeurs –BRDV) mais également des bureaux régionaux ou directions régionales pour l’Afrique Centrale des institutions financières internationales tels que la Banque Africaine de Développement –BAD, la Banque Africaine d’Import-Expert –AfreximBank, la Banque Européenne d’Investissement – BEI, la Société Financière Internationale – SFI et l’Agence Française de Développement – AFD. Elle accueille aussi les sièges régionaux des quatre (4) plus grands cabinets d’audit et de commissariat aux comptes, les Big 4 : Ernst & Young, Deloitte, PricewaterhouseCoopers et KPMG.
L’un des principaux handicaps de développement de la place financière du Cameroun nous semble être le niveau faible et inadéquat de l’ingénierie financière de l’Etat du Cameroun. Cela a été confirmé sans ambiguïté par l’opinion défavorable de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême sur les états financiers 2023 de l’Etat qui établit que le Ministère des Finances (MINFI) ne respecte pas les normes comptables en vigueur. De ce fait, la fonction de tutelle financière exercée par le MINFI notamment sur les entités financières publiques ne peut être à la hauteur des meilleurs normes comptables et financières reconnues. Cette faiblesse structurelle est également confirmée par la très faible notation financière de l’Etat (« B stable » du grade spéculatif, signifiant « risque très élevé ») attribuée par les agences internationales de rating financier (Standard & Poors, Fitch Rating et Moody’s).
Pour atteindre l’objectif de la SND30, l’une des réformes phares permettant d’accélérer le développement de la place financière du Cameroun, est de relever très rapidement le niveau de l’ingénierie financière de l’Etat pour se rapprocher de la frontière technologique. Il s’agit d’aligner l’organisation, le fonctionnement et la régulation des institutions financières publiques aux normes internationales en vigueur notamment consacrées par les trois (3) Traités internationaux déjà cités, qui ont été, à juste titre, souverainement ratifiés par les autorités publiques compétentes.
2. La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) : le modèle à suivre
Le décret n° 2018/354 du 07 juin 2018 portant réorganisation et fonctionnement de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale est clairement aligné au Traité instituant une Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES). Son article 2 alinéa 1 précise que la Caisse est un établissement public à caractère spécial tel que prévu par l’article 2 alinéa 1 de la loi n° 2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics. De plus, cet article 2 alinéa 2 indique clairement que la Caisse est gérée conformément aux dispositions du Traité CIPRES et la réglementation édictée par ses organes compétents ainsi que les lois et règlements nationaux en vigueur en application de l’alinéa 4 de l’article 2 de la loi 2017/010 qui dispose que « L’organisation et le fonctionnement des établissements à caractère spécial peuvent déroger aux dispositions de la présente loi, notamment lorsqu’ils relèvent d’une réglementation internationale ou communautaire ».
Concernant les dispositions comptables et financières, l’article 37 du décret 2018/354 dispose : « La gestion financière et comptable de la Caisse obéit aux règles et principes du plan comptable de référence de la Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale (CIPRES) et aux ratios de performance édictés par son Conseil des Ministres. Elle est mise en œuvre, sous l’autorité du Directeur Général, par le Directeur en charge des finances et de la comptabilité ».
L’article 42 alinéa 1 précise, « Le Conseil d’Administration désigne un ou plusieurs commissaires aux comptes parmi les experts inscrits à l’Ordre National des Experts Comptables du Cameroun ». De plus, l’article 45 insiste sur le fait que la Caisse est soumise aux dispositions de contrôle contenues dans le traité instituant la CIPRES et ses textes d’application.
En ce qui concerne le cadre légal et réglementaire national, l’article 46 est fondamental pour la quête de performance : « La Caisse n’est pas assujettie aux dispositions du Code des marchés publics. Toutefois, le Conseil d’Administration s’assure du respect des règles de la concurrence d’égalité de traitement des candidats, de transparence et de juste prix ». L’article 47 clarifie le régime fiscal applicable : « La Caisse jouit, pour toutes ses activités liées aux prestations de sécurité sociale, d’un régime fiscal privilégié conformément à la réglementation en vigueur. Toutefois, les activités commerciales de la Caisse sont soumises au régime fiscal de droit commun ».
3. La Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC)
Le décret n° 2011-105 du 15 avril 2011 portant organisation et fonctionnement de la Caisse des dépôts et consignations attribue à la CDEC le statut juridique d’établissement public de type particulier conformément à la loi n° 2008/003 du 14 avril 2008 régissant les dépôts et consignations. Cependant, ce décret n’est aligné à aucun Traité international applicable. De même, il s’appuie sur la loi n° 99-16 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic qui a été abrogée par la loi n° 2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics. Pourtant la mission de la CDEC (article 4) qui est « de recevoir, de conserver et de gérer les sommes et avoirs publics ou privés, conformément aux lois et règlements en vigueur » relève clairement du métier de la banque ou de l’intermédiation financière qui est régi par le Traité du 16 mars 1994 instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) en particulier, la convention régissant l’UMAC. Du fait de ses activités, la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale est applicable et la COBAC en est le régulateur.
En termes de classification professionnelle, la CDEC est une institution financière spécialisée au sens de l’article 12 du règlement COBAC R-2009/02 portant fixation des catégories des établissements de crédit, qui dispose : « Les institutions financières spécialisées sont des établissements financiers. Elles ne peuvent recevoir des fonds du public à vue et à moins de deux ans de terme. Elles assument une mission d’intérêt public décidée par l’Autorité Nationale. Les modalités de financement de leurs activités ainsi que les opérations bancaires, connexes et non bancaires autorisées sont régies par les textes législatifs et réglementaires qui leur sont propres dans le respect toutefois des prescriptions communes de la réglementation bancaire ». De plus, ce statut professionnel offre la latitude à la CDEC d’être intermédiaire de marché dans le cadre du marché financier d’Afrique Centrale.
Du point de vue de la gouvernance, l’article 18 du décret n° 2011-105 s’écarte radicalement des normes internationales et bonnes pratiques en vigueur : « Pour les besoins de ses travaux en matière de contrôle des comptes et des opérations relatives aux prises de participation et aux prêts consentis par la CDEC, il est créé un comité de surveillance auprès du conseil d’administration. Le comité de surveillance est un organe technique spécialisé du conseil d’administration ». Le règlement n° 04/08/CEMAC/COBAC du 06 octobre 2008 relatif au gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit exige notamment pour le contrôle des comptes, un comité d’audit du conseil d’administration et pour les opérations de prêts et de prises de participation, un comité des engagements. Un comité de gouvernement d’entreprise est également requis.
Concernant les dispositions comptables et financières de la CDEC, l’article 38 du décret n° 2011-105 reste vague et sans alignement clair au Traité de la CEMAC : « La gestion financière et comptable de la CDEC obéit aux règles de la comptabilité privée ». Or, la norme comptable de référence applicable est bien le Plan comptable des établissements de crédit.
De plus, les articles 28, 29, 30, 31 et 32 du décret confie la responsabilité de la gestion financière et comptable de la CDEC à un caissier général sous l’autorité du Directeur Général. Ces dispositions s’écartent radicalement des normes internationales et bonnes pratiques en vigueur.
En matière de contrôle et de régulation, le décret n° 2011-105 fait de la CDEC, une institution « enclave », exclue de toute régulation professionnelle comme l’exige les normes de bon fonctionnement du marché de capitaux. Pourtant, son régulateur est bien la COBAC. Le MINFI qui est la tutelle technique et financière de la CDEC (article 2 du décret) ne semble pas outillé pour jouer en même temps le rôle de régulateur.
De plus, le décret n° 2011-105 est muet sur l’application ou non du code des marchés publics. La quête de l’efficience opérationnelle en lien avec l’exigence de célérité dans les opérations (strict respect des dates de valeur) d’une institution financière spécialisée implique que la CDEC ne soit pas assujettie aux dispositions du Code des marchés publics. De même, le décret ne clarifie pas le régime fiscal applicable à la CDEC. Un régime fiscal privilégié devrait être accordé à la CDEC concernant ses activités de service public. Par contre, ses activités commerciales doivent être soumises au régime fiscal de droit commun.
4. La Caisse Autonome d’Amortissement (CAA)
Le décret n° 2019/033 du 24 janvier 2019 portant réorganisation de la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) indique à juste titre à son article 2 alinéa 1 que « La Caisse est un établissement public à caractère spécial. » Mais, contre toute logique technologique, ce décret n’est pas aligné au Traité de la CEMAC en particulier, la convention régissant l’UMAC. L’article 3 de ce décret stipule : « La Caisse a pour mission de contribuer, en liaison avec les administrations et organismes concernés, à la mise en œuvre de la politique d’endettement, du financement des projets et programmes, ainsi que la gestion des marchés des capitaux ». Cette mission de la CAA ainsi que la typologie de ses ressources financières définies par l’article 39 du décret impliquent que ses activités relèvent principalement du marché bancaire et subsidiairement du marché financier. L’article 47 du même décret stipule : « Dans le cadre de ses opérations, la Caisse collabore avec la Direction Nationale de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale au même titre que les Banques. A ce titre, elle peut prétendre être éligible à la participation au système de télé compensation ».
Il est donc clair que la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale est applicable à la CAA et que la COBAC est le régulateur naturel. En termes de classification professionnelle, la CAA est en fait une institution financière spécialisée au sens de l’article 12 du règlement COBAC R-2009/02 portant fixation des catégories des établissements de crédit en Afrique Centrale. Par ailleurs, ce statut professionnel donne l’opportunité à la CAA d’être intermédiaire de marché dans le cadre du marché financier d’Afrique Centrale.
En ce qui concerne les dispositions comptables et financières de la CAA, l’article 40 du décret n° 2019/033 opte pour une norme comptable qui est inadéquate et sans alignement clair au Traité de la CEMAC : « Les ressources de la Caisse sont gérées suivant les règles du système comptable OHADA. ». Or, la norme comptable de référence applicable et adaptée aux activités bancaires et financières de la CAA est bien le Plan comptable des établissements de crédit. Le point positif est que l’article 43 alinéa 5 du décret confie de manière indirecte la responsabilité de la gestion financière et comptable de la CAA au Directeur chargé des finances sous l’autorité du Directeur Général (« Les titres de paiement des dépenses de fonctionnement sont signés conjointement par le Directeur Général et le Directeur chargé des finances ».).
Par contre, en matière de contrôle et de régulation, le décret n° 2019/033 reste muet et fait ainsi de la CAA, une entité publique « enclave », exclue de toute régulation professionnelle tel que l’exige le bon fonctionnement du marché de capitaux. Pourtant, son régulateur est en toute logique la COBAC. Le MINFI qui est la tutelle technique et financière de la CAA (article 5 du décret) ne semble pas outillé pour jouer en même temps le rôle de régulateur.
L’article 61 du décret n° 2019/033 indique que la Caisse est assujettie aux dispositions du code des marchés publics. Cela est une mauvaise option stratégique. La quête de l’efficience opérationnelle en lien avec l’exigence de célérité dans les opérations (strict respect des dates de valeur) d’une institution financière spécialisée comme la CAA requiert qu’elle ne soit pas assujettie aux dispositions du Code des marchés publics. Par ailleurs, le décret est muet sur le régime fiscal applicable à la CAA. Un régime fiscal privilégié devrait être accordé à la CAA concernant ses activités de service public. Par contre, ses activités commerciales doivent être soumises au régime fiscal de droit commun.
5. Le Fonds Spécial d’’Equipement et d’Intervention Intercommunale (FEICOM)
Le décret n° 2018/365 du 31 octobre 2018 portant réorganisation du Fonds Spécial d’Equipement et d’Intervention Intercommunale (FEICOM) n’est aligné à aucun Traité international. Au regard de ses missions (article 3 du décret) et de la typologie de ses ressources financières (article 39 du décret), l’activité principale du FEICOM est l’intermédiation financière et son activité complémentaire est la réception des dépôts ou des avoirs des communes, des régions, du Comité National des Finances Locales (CONAFIL), des présidents et membres des bureaux des conseils régionaux ainsi que des magistrats municipaux.
L’exercice professionnel et efficient des activités d’intermédiation financière et de réception des dépôts et avoirs publics et privés justifie clairement et logiquement pour le FEICOM, le statut juridique d’établissement public à caractère spécial et non celui d’établissement public à caractère économique et financier (article 2 du décret) qui est inadéquat. Ces activités découlant des missions du FEICOM sont régies en grande partie par le Traité de la CEMAC en particulier la convention régissant l’UMAC. Dans ce cadre, la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale est applicable. C’est dans le même cadre que la COBAC est le régulateur naturel du FEICOM.
Ainsi, en termes de classification professionnelle, le FEICOM est de fait une institution financière spécialisée au sens de l’article 12 du règlement COBAC R-2009/02 portant fixation des catégories des établissements de crédit en Afrique Centrale. De plus, ce statut professionnel offre l’opportunité au FEICOM d’être intermédiaire de marché dans le cadre du marché financier d’Afrique Centrale.
Concernant les dispositions comptables et financières du FEICOM, l’article 40 du décret n° 2018/385 s’écarte radicalement des normes internationales excluant tout alignement au Traité de la CEMAC : « Les ressources financières du Fonds sont des deniers publics gérés suivant les règles prévues par le régime financier de l’Etat ». Or, la norme comptable de référence applicable et adaptée aux activités d’intermédiation financières et de réception des dépôts ou avoirs du FEICOM est logiquement le Plan comptable des établissements de crédit. Plus inappropriés encore, les articles 47 à 51 du décret qui confient la responsabilité de la gestion financière et comptable du FEICOM à un Agent comptable et un contrôleur financier nommés par arrêté du Ministre chargé des finances.
En matière de contrôle et de régulation, le décret n° 2018/385 fait du FEICOM, une institution financière « enclave », exclue de toute régulation professionnelle comme l’exigent pourtant les normes de bon fonctionnement du marché de capitaux. Ainsi, le régulateur naturel du Fonds est précisément la COBAC. Le MINFI qui est la tutelle financière du FEICOM et assure le suivi de sa gestion et de ses performances (article 52 du décret) ne semble pas outillé pour jouer en même temps le rôle de régulateur.
L’article 58 du décret n° 2018/385 dispose que le FEICOM est assujetti aux dispositions du code des marchés publics. Tout comme pour la CAA, c’est une option stratégique inadéquate. La quête de l’efficience opérationnelle en lien avec l’exigence de célérité dans les opérations (strict respect des dates de valeur) d’une institution financière spécialisée comme le FEICOM requiert qu’elle ne soit pas assujettie aux dispositions rigides du Code des marchés publics. De plus, le décret est muet sur le régime fiscal applicable au FEICOM. Un régime fiscal privilégié devrait être accordé au Fonds concernant ses activités de service public. A contrario, ses activités commerciales doivent être soumises au régime fiscal de droit commun.
6. La Société Nationale d’Investissement (SNI)
Le décret n° 2024/291 du 10 juillet 2024 portant transformation de la Société Nationale d’Investissement en société à capital public mentionne deux (2) actes uniformes OHADA mais n’est pas aligné au Traité de la CEMAC en particulier la convention régissant l’UMAC. L’article 3 du décret stipule : « La SNI a pour objet, la mobilisation et l’orientation des financements en vue de favoriser l’investissement productif notamment dans les secteurs industriel, agricole, minier, financier, commercial et des services. A ce titre, elle est notamment chargée, à travers ses filiales : du financement des investissements ; des opérations de capital-risque et de capital-développement ; de l’exercice d’activités d’intermédiation en bourse et de gestion d’actifs ; de la réalisation d’études et de l’appui-conseil ; du suivi des entreprises publiques ».
En se fondant sur cet objet social et sur la typologie de ses ressources financières (article 8 du décret), les activités de la SNI sont principalement régies par : (i) la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale avec la COBAC comme régulateur communautaire, d’une part, et, (ii) le règlement n° 01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF du 21 juillet 2022 portant organisation et fonctionnement du marché financier de l’Afrique Centrale avec comme régulateur unique la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF), d’autre part.
Ainsi, en termes de classification professionnelle, la SNI est une institution financière spécialisée au sens de l’article 12 du règlement COBAC R-2009/02 portant fixation des catégories des établissements de crédit en Afrique Centrale. Cette catégorie d’établissement de crédit permet à la SNI d’être également un intermédiaire de marché conformément à l’article 145 alinéa 2 du règlement n° 01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF.
En ce qui concerne les dispositions comptables et financières de la SNI, l’article 21 du décret n° 2024/291 s’écarte des exigences du Traité de la CEMAC : « La SNI est assujettie à la réglementation relative à la comptabilité OHADA ». Or, la norme comptable de référence applicable et adaptée aux activités de la SNI est logiquement le Plan comptable des établissements de crédit. Pour ce qui est du contrôle et de la régulation, le décret n° 2024/291 fait de la SNI, une institution financière « enclave », exclue de toute régulation professionnelle comme l’exige pourtant les normes de bon fonctionnement du marché de capitaux. Normalement, les activités de la SNI transformée impliquent une régulation duale de la COBAC et de la COSUMAF.
Au plan du régime fiscal applicable à la SNI, l’article 20 des statuts dispose : « La SNI et ses filiales sont soumises au régime fiscal et douanier de droit commun, sauf dérogation expresse prévue par la réglementation en vigueur ». Cette disposition est appropriée pour les activités commerciales de la SNI. Il semble indiquer qu’un régime fiscal privilégié soit d’office accordé à la SNI concernant ses activités de service public.
Comme vous pouvez le constater aisément et clairement, l’option stratégique prétendument de souveraineté consistant pour le Gouvernement camerounais à se doter d’institutions financières publiques « enclaves », exemptées de toute régulation indépendante et professionnelle, apparaît non pertinente, inefficiente et contraire aux normes internationales en vigueur ainsi qu’aux Traités internationaux applicables en matière financière auxquels le Cameroun a souscrit souverainement. L’exemple de la CNPS est parlant et convainquant. Cet établissement public à caractère spécial se distingue aujourd’hui par ses performances élevées, son rayonnement international établi et sa contribution distinctive indiscutable à l’attractivité de la place financière du Cameroun. En conséquence, nous vous recommandons de réviser les décrets d’organisation et de fonctionnement de la CDEC, la CAA, le FEICOM et la SNI en vue de les positionner à la frontière technologique de la finance et du marché des capitaux de l’Afrique centrale ouvrant par là-même la voie pour les rendre plus performantes.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Babissakana
Ingénieur Financier, Laïc Spiritain Associé
Chaiman & CEO, Prescriptor Ltd
Yaoundé, le 18 avril 2025.