Voici comment réformer la BEAC et le Franc CFA
Le débat sur le Franc CFA a été toujours mené en Afrique depuis les années de lutte pour les indépendances (années 50-60). De simples fantasmes aux réels faits économiques, la question de cette monnaie dite « coloniale » n’a jamais fait l’unanimité. Qu’en est-il effectivement ?
Le Franc CFA n’est pas une monnaie et la BEAC n’est une banque centrale que de nom. Dans les faits, la communauté monétaire n’est ni une mauvaise idée ni une mauvaise pratique. Pour les pays concernés, le Franc CFA pose un problème au niveau politique et un autre au niveau opérationnel. Au niveau politique et stratégique, le franc CFA pose un problème de souveraineté. Cette question de souveraineté est indiscutable et inviolable pour un pays. Au niveau opérationnel, le franc CFA est inopérant. En d’autres termes, ce n’est pas une monnaie. Il ne fonctionne pas comme devrait fonctionner une monnaie.
Pour sa part, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) n’est une banque centrale que de nom. Elle ne joue pas le rôle d’une Banque centrale dans une économie. Un pays comme le Cameroun n’a donc pas de Banque centrale, ce qui est un vide à combler en vue de bâtir une économie normale. Je me propose donc dans cette tribune de mettre le doigt de façon concrète sur les aspects qui dérangent et qui méritent d’évoluer dans le but de créer des équilibres sociaux et économiques. Allons-y pas à pas :
Des accords coloniaux en question
Lorsque l’on parle d’accords coloniaux, il s’agit notamment de la Convention de Coopération Monétaire qui lie la République Française aux Pays membres de la BEAC ainsi que leurs avenants et protocoles additionnels. La Convention en vigueur date de 1972 et constitue le texte de base pour d’autres conventions signées au sujet de l’ouverture d’un Compte d’Opérations au Trésor Français (1973) ou d’un Compte courant (2004) qui contient à son tour un avenant et plusieurs autres conventions additionnelles signées en 2007 et 2014.
Lorsque l’on parle de l’existence d’un « accord secret » en référence à un texte difficile d’accès, il s’agit de l’Accord sur la Garantie de Change que j’avoue n’avoir jamais vu. L’obligation de transparence tant vantée oblige normalement de le rendre public pour montrer que l’on n’a rien à cacher. Le calcul des résultats présenté sur la base de cet accord est opaque et l’explication des taux appliqués est économiquement inintelligible. Nous y reviendrons ci-dessous avec les chiffres.
Supprimer l’article 63 des Statuts de la BEAC
Le problème politique est que l’ensemble des textes, conventions et accords signés vont dans le sens du contrôle des avoirs extérieurs des pays membres par la France. En clair, à l’article 63 des propres statuts de la BEAC, la banque est tenue d’assurer la centralisation des avoirs extérieurs des pays membres en France et une fois par an, un Collège de Censeurs est commis pour vérifier le respect scrupuleux de cette disposition. En d’autres termes, un Collège des censeurs vérifie chaque année que la BEAC n’a pas « triché ».
Réformer la BEAC dans le sens de son autonomisation comme déclaré par les Chefs d’Etat de la CEMAC dans l’une des résolutions du sommet extraordinaire de Yaoundé ce 16 décembre 2024, reviendrait à supprimer l’article 63 des Statuts de la BEAC.
Le contenu de la Convention sur le Compte d’Opérations pose aussi problème. Dans les faits, ce ne sont pas les 50% des avoirs de nos pays que l’on verse dans les Comptes d’Opérations (Convention du 03 octobre 2014). En réalité, l’on tend vers les 100%. En 2022, la BEAC avait versé officiellement environ 92% de nos avoirs au Trésor français. En attendant d’avoir les chiffres de 2024, la BEAC avait versé environ 78% en 2023.
Pour faire simple, voici le schéma qui dérange : Les avoirs des Africains à l’extérieur prennent trois destinations principales : (1) Ce qui est intouchable, c’est le service de la dette au FMI. C’est d’ailleurs ce qui a justifié que le FMI convoque les Chefs d’Etat de la CEMAC à Yaoundé le 16 décembre 2024 pour leur rappeler que leurs avoirs extérieurs avaient baissé et que cela suscitait des inquiétudes quant à leur possibilité de rembourser les dettes de leurs pays.
Quand le FMI a fini de se servir, la France gère le reste à travers deux mécanismes susceptibles d’être considérés comme frauduleux : (2) d’abord l’activation du Compte d’Opérations qui est supposé absorbé officiellement les 50% et (3) ensuite, l’activation d’un outil parallèle appelé « Compte Spécial de Nivellement » où l’on doit loger l’excédent. En français facile, tous nos avoirs restent en France d’une façon ou d’une autre. Le drame est que la « Garantie » que l’on vante souvent ne couvre que les Comptes d’Opérations ; tout ce qui est logé dans le Compte Spécial n’est pas couvert.
Supprimer l’article 4 de la Convention sur le Compte d’Opérations
Le plus gros problème de souveraineté se trouve à l’article 4 de la Convention sur le Compte d’Opérations qui prévoit que la BEAC est tenu de livrer toute la situation des avoirs des personnes physiques et morales des pays membres à la France. C’est un scandale politique. Dans le langage camerounais, cet article dit en gros que la BEAC doit « trahir » les pays membres. Franchement ! Nous convenons qu’il faut supprimer cette disposition bien que la BEAC ne s’exécute pas toujours. Toutefois, c’est ici que la présence des représentants de la France au sein des instances de la BEAC devient gênante.
Supprimer le taux plancher des calculs des taux de rémunération
En principe, le Compte des Opérations doit rapporter de l’argent aux Africains. Cela est basé sur le taux de la facilité du prêt marginal de la Banque Centrale Européenne (BCE). Pour le Compte Spécial de Nivellement, on parle de taux de refinancement. En 2023, c’était respectivement 4,06% et 3,81%. Mais, la convention sur le Compte d’Opérations a prévu un taux plancher où tout est fixé entre 0,75% et 1%. Par conséquent, en attendant d’avoir les chiffres de 2024, les comptes d’opérations et de nivellement n’ont payé que FCFA 196 699 millions. On a envie de dire « tout ça pour ça ? ». Mieux, on mettait notre argent dans les tontines locales qui paient mieux, non ?
L’inutilité de la BEAC sous sa forme actuelle
Les avoirs de toute la BEAC dans le compte d’Opérations en début 2024 étaient seulement de FCFA 4751 milliards, c’est-à-dire, même pas le montant du budget du Cameroun. Allons-y plus en détail : dans ces FCFA 4751 milliards, le Cameroun seul disposait de FCFA 2135 milliards et la BEAC elle-même ne dispose que de FCFA 442 milliards. En d’autres termes, la BEAC en tant que banque centrale ne pouvait financer aucune économie étatique. Voilà le drame de ces pays africains : Ils n’ont pas de banque centrale susceptible de financer leurs investissements.
Les pays qui se développent trouvent l’argent pour se financer dans leurs banques centrales. C’est le cas de la Suisse, du Japon, des Etats-Unis, etc. Ces pays font même tourner la planche à billets pour recapitaliser leurs économies en cas de nécessité. La politique monétaire de nos pays nous met sous le joug du FMI et du cercle infernal de l’endettement ou de l’aide au développement. Même sans problème de gouvernance dans nos pays, nos marges de manœuvres seraient limitées.
L’absence de monnaie
Le Franc CFA n’est pas une monnaie. C’est un bon d’achat que la France délivre aux pays concernés pour leur marché interne. Si monnaie il y avait, ce serait l’Euro. Au sens économique du terme, la monnaie est un intermédiaire d’échanges sur le marché. A la rigueur, le franc CFA serait une binarisation de l’Euro.
Sauf que même dans le cas de la monnaie binaire, la gestion est locale or, les pays membres de la BEAC n’ont aucun pouvoir de gestion sur le franc CFA au niveau local. Ils ont délégué le pouvoir de gestion de leur politique monétaire à la France à la fois sur le plan local et sur le plan international. La pertinence du parrainage de la France à travers la garantie de la parité fixe avec l’euro est économiquement très discutable. Pourquoi ? Parce qu’une banque centrale normale décide chaque matin du taux de change en fonction des réalités économiques du pays. Pour faire simple, en agissant sur les taux directeurs, la banque centrale peut décider de remplir le panier de la ménagère.
La banque centrale peut décider de surévaluer la monnaie pour favoriser une plus grande importation de biens et de services. Sur un autre plan, la banque centrale peut décider de dévaluer la monnaie pendant la saison des exportations pour rendre plus compétitifs les produits locaux. La parité fixe empêche à la BEAC de jouer son rôle de banque centrale dans la création de la richesse, la lutte contre l’inflation et la vie chère.
En conclusion, je dis que la communauté monétaire est une bonne chose si l’on autonomise la BEAC. C’est l’une des résolutions du dernier Sommet extraordinaire de la CEMAC. C’est bien mais, il faut passer à l’action. Quant à la France, il est économiquement difficile de comprendre quel est son intérêt à s’encombrer des accords régissant le CFA. Même sur le plan politique, il est difficile de comprendre ce que gagne la France. L’hégémonie ? Quelle hégémonie dans une Afrique où elle a déjà perdu la main et doit aujourd’hui se presser de sortir par le haut ? Le paternalisme ? Peut-être encore ce paternalisme ou l’idée de faire croire que les Africains ne s’en sortiraient jamais seuls ou qu’ils tomberaient sous le joug de la Russie ou de la Chine. Et où est le problème du peuple français si les Africains ne s’en sortaient pas seuls ? Ce paternalisme a-t-il empêché la RCA d’embrasser la Russie ? L’hypocrisie politique consiste quelque fois, côté français, à dire que ce sont les Africains qui doivent décider. Lorsque l’on connaît le mécanisme de fonctionnement de la zone, ce n’est qu’une pure hypocrisie.
Certaines options politiques sont aujourd’hui encombrantes et génératrices de haine gratuite. Lorsqu’on observe la progression à une vitesse exponentielle du sentiment anti-français, l’on se demande si les exigences de pertinence, d’efficacité et d’efficience font partie des critères de gouvernance dans la politique étrangère de la France.
Dans tous les cas, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’existe plus dans la classe politique africaine, sauf hypocrisie, quelqu’un qui soutiendrait le franc CFA sous sa forme actuelle. Heureusement que la nouvelle classe politique en est consciente et que de nouveaux types de contacts sont noués. Il faut renforcer la coopération avec cette nouvelle classe politique qui prend progressivement le pouvoir en France en vue de sortir paisiblement de ce joug (post)colonial dévastateur à la fois pour la France et pour l’Afrique.
Dieu nous bénisse !
Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR
Deuxième Vice-Président National SDF