L’économie camerounaise qui tire la locomotive de l’Afrique centrale offre pourtant des perspectives intéressantes pour les experts comptables, qui se partagent un marché national autour de 27 milliards de francs CFA. Et qui recèle un potentiel lui permettant de rivaliser avec celui de la Cote d’Ivoire (45 milliards FCFA) par exemple.
Ici comme dans d’autres marchés de par le monde, le segment de l’audit (légal et contractuel) représente la portion la plus importante du marché. A l’observation, une dizaine de sociétés d’expertise comptable se le partagent.
On n’a pas pu accéder aux chiffres d’affaires des cabinets, mais la taille de leurs clients renseigne sur leur poids dans le paysage national.
Les « Big Four » de moins en moins présents…
Elles ont toujours existé, les excroissances locales des « Big Four » mondiaux :
Deloitte, KPMG, PricewaterhouseCoopers (s’est officiellement retiré de l’Afrique francophone subsaharienne), et Ernst & Young (EY) qui, tout comme PwC, a annoncé qu’il quitte finalement le marché d’Afrique francophone subsaharienne en 2026.
Deloitte qui assure notamment le commissariat aux comptes de plusieurs grands comptes tels que ENEO, en plus de différentes missions pour les entreprises publiques et privées fait la course en tête. La firme a une présence importante dans les secteurs de l’énergie et industriel. Deloitte connait toutefois un recul progressif mais discret du marché sous régional, avec notamment un retrait des pays tels que le Tchad et le Congo (Brazzaville).
Chez KPMG les clients incluent les banques, les assurances et d’autres entreprises privées (Total Cameroun), aussi bien que les sociétés publiques et parapubliques (SCDP). Quelques affaires sombres à l’international, ont affecté la réputation de ce cabinet, déteignant également sur son affilié local, tout comme leur exclusion pendant quelques années de l’Ordre des experts comptables du Cameroun.
Le cabinet Vinka héritière du portefeuille de PwC (MTN, Boissons du Cameroun, et plusieurs banques, etc.) est managé par des anciens de ce Big Four, qui maintiennent encore leur rang dans le peloton de tête malgré un désistement progressif de certains mandats de commissariat aux comptes observé de la part de plusieurs entreprises du fait du retrait de la licence de PwC.
… et des poursuivants des « Big Four » du Top 10 mondial offensifs
En se mariant avec Forvis, Mazars améliore sa taille et donc son classement à l’échelle mondiale. Au Cameroun, Forvis Mazars se positionne assez bien avec des clients comme la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), la Bicec ou AFG Bank (anciennement Banque Atlantique). Avec 20 ans de présence au Cameroun et en Afrique centrale, le cabinet dirigé par Jules Alain Njall Bikok (ancien de l’écurie Charles Kooh II) et Fidèle Mmandoa renforce donc ses positions dans la fourniture des services aux entreprises privées, aux institutions publiques et aux organisations internationales en audit, conseil, fiscalité, externalisation et soutien juridique.
Avec eux, dans une course que va arbitrer de plus en plus la compétence et l’indépendance des auditeurs, et plus seulement le prestige ou la réputation héritée des maisons-mères, il y a des cabinets qui marquent leur territoire et/ou font des percées remarquables.
Moore Stephens Central Africa en fait partie. Offrant des services d’audit, d’expertise comptable, de fiscalité et de conseil, cet affilié de Moore Global rayonne sur les autres pays de l’Afrique centrale à partir de Douala – comme plusieurs des acteurs de premier plan de ce secteur. Le cabinet dirigé par Robert Prosper Nken et Luc Georges Soun Soun (eux aussi passés par Charles Kooh II), accompagne les Etats dans le cadre des restructurations et dans le domaine de l’énergie au travers des audits des coûts pétroliers. Commissaire aux comptes du Port autonome de Douala et de ses filiales, de la Sonara, de CamairCO ou encore du Crédit Foncier du Cameroun, Moore CA capitalise et tire sans doute avantage, dans sa stratégie d’expansion, de la récente couronne de « meilleur réseau d’audit et de comptabilité en 2025 » décernée à Moore Global par les International Accounting Awards.
Également actif parmi les poursuivants des « Big Four », il y a Grant Thornton Cameroun. L’affilié camerounais de ce cabinet né en Suisse (l’un des Top 10), se positionne comme un outsider qu’il faudra suivre. Dernier fait d’armes en date, la Due diligence pour préparer la reprise par l’Etat camerounais, des actions du Groupe Société Générale dans sa filiale locale éponyme, de laquelle le groupe bancaire français avait décidé de se retirer.
Tout comme RSM, la firme parisienne qui tente des incursions (elle a récemment audité le processus querellé de recrutement des cadres à la Beac) sur le marché de la Cemac. Ou encore Afrique Audit Conseil (devenu Baker Tilly en 2018).
BDO absent jusqu’alors sur le marché local et sous régional frappe à la porte du marché camerounais avec insistance, aidé en cela notamment par le départ de PwC et de EY. Il a d’ailleurs déjà fait son entrée du côté du Congo Brazzaville avec les anciens associés de PwC.
Des cabinets locaux s’installent durablement dans le paysage
Une figure emblématique de l’expertise comptable a marqué de son empreinte le métier. De son écurie, Kooh & Mure puis Coopers & Lybrand, Charles Kooh II a légué au métier d’expert-comptable des professionnels parmi les plus compétents et les plus en vue de la profession aujourd’hui au Cameroun. Avec ceux cités plus haut, il y a Jean Pierre Okalla Ahanda. S’étant émancipé de son mentor, il a créé la marque Okalla Ahanda & Associés, cabinet désormais affilié au réseau Crowe Global (8e mondial). La firme confirme sa bonne tenue et garde en plus de ses activités dans la formation, des clients comme la Cnps et des banques dans le volet commissariat aux comptes de son activité.
Autre cabinet local, CLS Audit Conseil. Le cabinet affilié au réseau Nexia (13e au classement mondial) est dirigé par Claude Simo, expert-comptable, encore un ancien de l’écurie de Charles Kooh II. CLS est un acteur important du marché.
CAC (Cameroun Audit Conseil) apparait sur le marché à la faveur du premier départ de EY. Créé par feu Jérôme Minlend, CAC International va garder dans son escarcelle de prestigieux clients (SNH, Sodecoton, etc.) hérités de EY que dirigeait au Cameroun le regretté expert-comptable. CAC résiste bien au départ de son fondateur et reste actif sur le marché.
Dernier « poulain » de Charles Kooh II évoqué ici, Emile Christian Bekolo, qui a lancé le cabinet Bekolo & Partners. Liquidateur de la Camair ou co-commissaire aux comptes de la Sonara, le cabinet Bekolo est aussi un acteur de poids dans la formation. Son engagement pour une économie plus compétitive l’a amené récemment à dénoncer les dispositions « anti-industrialisation » qui seraient contenues dans la loi de finances 2020 au Cameroun, et reprises dans les lois de finances subséquentes. « En limitant à 10 ans le délai pour utiliser les amortissements différés accumulés pendant la période où l’entreprise était déficitaire, il y a un risque que les entreprises ne soient plus incitées à investir des montants importants dans les immobilisations » déclarait-il. Un éveil salutaire dans le milieu…
Dans le paysage des cabinets locaux actifs, il ne serait pas inopportun d’évoquer un entrant assez remarquable, le cabinet BBI Audit & Advisory,dirigé par Isaac Joel Bela Belinga. Très présent dans les publications d’appels d’offres, il a des clients assez prestigieux comme le Crédit Foncier du Cameroun, la CSPH, HYDRAC ou le Hilton. Il faudra sans doute compter sur BBI Audit & Advisory qui est par ailleurs affilié à un réseau international, UHY.
Compétence et indépendance de l’auditeur, le facteur X
Jusque-là, la réputation de l’auditeur a été déterminée par des variables parmi lesquelles, l’appartenance du cabinet à un réseau, le taux de litage, la rotation des auditeurs, la diversification du portefeuille d’activité du cabinet et la spécialisation.
Si la réputation de l’auditeur pose une difficulté d’appréciation, la taille du cabinet est une variable facilement mesurable car se basant sur les critères quantitatifs tels que le nombre d’employés, l’importance du portefeuille client ou encore le volume des honoraires facturés.
On concède en général que les cabinets de grande taille disposant d’un nombre important de clients seraient moins enclins aux pressions de l’audité. Ceci en raison du fait que la perte serait conséquente si ces manipulations étaient révélées sur le marché.
Si la taille n’est pas en soi un indicateur de compétence, elle n’en constitue pas moins une variable estimative de l’indépendance de l’auditeur, et donc de la qualité de l’audit. En effet, un cabinet d’audit offrant des prestations à un grand nombre d’entreprises clientes a plus à perdre en acceptant certaines compromissions qu’un cabinet n’ayant que quelques clients et pour lequel la perte de l’un d’entre eux se traduirait par une catastrophe financière. Mais par exemple, la disparition du réseau d’audit Arthur Andersen (liée à l’affaire Enron aux Etats-Unis) indique que la relation n’est pas si évidente. Arthur Andersen était le premier réseau d’audit au monde…
On pourrait ainsi penser que la tendance naturelle devrait être de favoriser les meilleurs, en considération de leur « track record » sur le marché local. Les grandes entreprises publiques et privées préfèrent généralement des contrats d’audit avec les « Big Four » élargissant toutefois de plus en plus la palette de choix aux cabinets du Top 10 mondial et à ceux qui sont les plus proches de ces classements. Sur le marché camerounais la hiérarchie est bousculée, car en dehors des missions référées, de plus en plus de cabinets ambitieux conduits par des professionnels compétents et ayant fait leurs classes chez les « Big Four », sont retenus à l’issue d’appels d’offres dans les grandes entreprises publiques et privées.
La stratégie des moins sollicités restant de capter les parts de marché à partir des liens familiaux ou amicaux. La demande volontaire d’audit chez les Pme et les entreprises familiales n’est pas une priorité et relève de l’exception. Il est plutôt rare de voir les dirigeants de ces entreprises commander volontairement un audit qui viendrait introduire des règles de bonne gouvernance et de gestion. Tout le monde se limite à un audit légal (obligé par la loi). Ce qui démontre un manque d’intérêt accordé à cette activité par ces entreprises. Et qui complexifie la tâche des cabinets d’audit en rétrécissant leur assiette d’action.
Renforcer les règles, améliorer la qualité de l’information financière
Le renforcement des règles et des normes en matière de comptabilité et d’audit au niveau international et leur internalisation progressive au Cameroun, notamment par le biais de l’arrimage progressif du droit comptable OHADA aux normes internationales IFRS et IAS, redéfinissent les priorités et impactent le comportement des acteurs.
Reste un effort majeur à faire par les autorités judiciaires et financières locales : traduire dans la législation nationale le Règlement n° 01/CM/2017 portant « harmonisation des pratiques des professionnels de la comptabilité et de l’audit dans les pays membres de l’OHADA », en modifiant la loi n° 2011/009 du 06 mai 2011 relative à « l’exercice de la profession comptable libérale et au fonctionnement de l’Ordre National des Experts-comptables du Cameroun ». Ces deux textes s’opposent en plusieurs points, ce qui génère des frictions aboutissant parfois à une régression normative. L’amélioration normative qui résulterait de cette internalisation permettra par ailleurs un salutaire écrémage et conséquemment une meilleure qualité de l’information comptable et financière disponible.
Un peu de patriotisme économique : et si les Patrons et les pouvoirs publics s’y mettaient ?
Le principal objectif de l’audit est la réduction considérable de l’asymétrie d’information entre les parties prenantes. L’audit est une activité d’intérêt général qui, à ce titre, doit être contrôlée. Ainsi, rien n’est évident, d’où la méfiance envers le devoir. C’est une affaire d’éthique mais c’est aussi et d’abord une affaire de réglementation, de non-respect de la réglementation et de non-sanction de ce manque de respect.
Deux des « Big Four » quittent le Cameroun (EY pour la deuxième fois d’ailleurs !). Au regard des arguments souvent avancés ou non d’ailleurs (à l’instar des risques environnementaux spécifiques aux pays africains) par ces grands réseaux globaux pour « abandonner l’Afrique », il est fort à parier que la tendance va se maintenir. Ce qui serait un mal pour un bien. L’expertise des camerounais, acquise notamment après de longues années au sein de ces grandes firmes internationales, les a capacité pour relever les défis et servir l’économie de leur pays en première ligne.Parce que la contribution des auditeurs à l’amélioration de la qualité de l’information financière est un enjeu majeur pour le développement de l’entreprise ; parce que la bonne santé des entreprises irrigue, en les abondant, les caisses du trésor public ; et parce que le corps social en ressent les bienfaits, il est impératif que les pouvoirs publics, les patrons et l’Onecca se mobilisent pour une régulation efficiente et performante de l’activité des experts comptables.
Les chiffres clés de la profession d’Expert-comptable
L’Onecca revendique :
· 269 experts comptables libéraux
· 65 sociétés d’expertise comptable
· 26 experts comptables salariés
· 19 experts comptables stagiaires.
Le marché Camerounais est composé de :
· 402 établissements financiers (dont 19 banques et 384 Microfinances) ;
· 27 compagnies d’assurances (dont 10 Vie et 17 non Vie) ; et 04 compagnies de réassurances ;
· 121 entreprises et établissements administratifs publics ;
· + de 400 000 entreprises dont 1 150 Sociétés Anonymes.
André Parfait Bell, Journaliste & Consultant IEKM