1. Résumé Exécutif
Les villes camerounaises se développent plus rapidement que les systèmes de données destinés à les gérer. Selon le World Population Review (2025), avec une urbanisation en hausse d’environ 3,5 % chaque année, sous l’effet de la croissance démographique, des migrations et des déplacements de population, plus de 30 % des citadins du pays vivent désormais dans deux villes seulement : Douala et Yaoundé. Avec les décideurs qui s’appuient encore sur des données fragmentées et obsolètes, il en résulte un décalage croissant entre les réalités démographiques et les capacités de gestion urbaine. Cette note d’information soutient qu’une gouvernance efficace des données est essentielle pour construire des villes inclusives, résilientes et bien planifiées. La faiblesse de la gestion et la mauvaise interopérabilité des données urbaines perpétuent les inefficacités dans la planification, limitent les investissements et renforcent les inégalités. À l’inverse, des systèmes de données robustes et inclusifs peuvent renforcer la responsabilité locale, améliorer l’efficacité fiscale et garantir que les communautés marginalisées soient représentées dans la prise de décision.
2. État de la gouvernance des données au Cameroun
Selon le Centre for the Study of the Economies of Africa (CSEA) qui distingue les indicateurs de gouvernance générale, tels que l’Efficacité du Gouvernement et la Qualité Réglementaire, et les éléments spécifiques liés à la protection des données, le Cameroun affiche plusieurs scores négatifs sur ces indicateurs. En matière législative, le pays a établi un cadre plus avancé contenant une autorité de protection des données et des lois sur les transactions électroniques et la protection des consommateurs et sur la cybersécurité. De plus, le Cameroun a ratifié la Convention de Malabo, affirmant son engagement envers les normes régionales de protection des données. Par ailleurs, le Cameroun impose des restrictions sur les flux de données transfrontaliers, qui, bien qu’elles puissent protéger les données personnelles, peuvent nuire à l’investissement et à l’intégration économique numérique si elles ne sont pas harmonisées.
Les données de la World Development Indicators permettent de visualiser l’évolution de la capacité statistique du Cameroun entre 2018 et 2023.

Fig1 : Evolution de la performance statistique du Cameroun
On constate une légère progression de la performance statistique du Cameroun, passant de 57,40 % en 2018 à 58,45 % en 2023 durant la crise COVID-19. Des avancées notables sont observées dans la dimension « data infrastructure », qui a crû de 35 % à 55 %, renforçant les systèmes de collecte des données. En revanche, la dimension « Data use score » a chuté de 80 % à 60 %, montrant une utilisation déficiente des données dans les décisions publiques. Bien que la population vivant dans des quartiers précaires ait diminué de 35,94 % en 2018 à 32,67 % depuis 2020, cette amélioration reste marginale et indique que les progrès statistiques n’ont pas encore engendré de transformations structurelles significatives.
3. La collecte des données urbaines au Cameroun
Le Ministère de l’Habitat et du Développement Urbain (MINHDU) et le Ministère de l’Économie, de la Planification et du Développement régional (MINEPAT) jouent des rôles clés tandis que les recensements décennaux sont assurés par le Bureau Central des Recensements et des Etudes de Population (BUCREP). D’autres entités telles que l’Institut National de la Cartographie (INC), l’Institut National de la Statistique (INS), le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH), ainsi que diverses communes et organisations régionales, participent également à la collecte de données sur l’urbanisation. Cependant, les bases de données existantes ne sont pas interconnectées ni accessibles au public. Des initiatives ponctuelles soutenues par la Banque Mondiale, comme le Programme des Nations Unies pour les Établissements Humains (ONU-HABITAT) et la World Urbanization Prospect (WUP), tentent de cartographier certains périmètres urbains, mais souffrent souvent d’un manque de durabilité institutionnelle. La gouvernance des données émerge ainsi comme un élément essentiel pour l’octroi des certificats d’urbanisation au Cameroun, influençant la confiance des citoyens, la qualité des décisions, l’efficacité des services, et la résolution des litiges.
4. Importance de la gouvernance des données
Les données sont comparées au nouveau pétrole, nécessitant une gouvernance responsable pour les transformées en valeur et en innovations. Un écosystème de données inclusif garanti un accès équitable et la protection des données. Il assure la qualité et la fiabilité des informations utilisées en planification urbaine, afin d’éviter des politiques inefficaces. La mise en place de standards de qualité et d’interopérabilité facilite l’intégration des données de différents acteurs. Par exemple, les certificats d’urbanisme, basés sur des données hétérogènes, exigent une gouvernance rigoureuse pour éviter les erreurs coûteuses et garantir leur crédibilité. La traçabilité et la transparence des processus sont renforcées par des registres électroniques et des audits, augmentant ainsi la fiabilité des décisions en matière d’urbanisme. En effet, la réussite de l’urbanisme moderne repose sur l’interopérabilité des systèmes géospatiaux et cadastraux, cruciale pour l’utilisation efficace des données géographiques. Ainsi, les données ouvertes, comme les plans cadastraux, favorisent l’innovation et réduisent les coûts. Par ailleurs, la protection des données personnelles et des procédures rigoureuses de gestion sont essentielles pour la réussite des certificats d’urbanisme. L’audit des outils automatisés et la formation des instructeurs sont également des priorités, contribuant à une gouvernance efficace au niveau communal, régional et national. Une telle approche permet une anticipation éclairée sur l’évolution de la demande foncière et l’impact des politiques d’aménagement.
5. Gestion des données urbaines au Cameroun
Le classement Doing Business 2020 de la Banque mondiale place le Cameroun au 104e rang pour l’indicateur « Dealing with Construction Permits », indiquant une position intermédiaire mais supérieure à de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Malheureusement, le processus d’obtention d’un permis de construire demeure long et complexe, nécessitant en moyenne 16 procédures, plus que les normes des pays OCDE. Toutefois, avec un délai de 126 jours pour l’obtention d’un permis, le Cameroun est plus rapide que la moyenne régionale et OCDE. Le coût élevé des permis, représentant 17,6 % de la valeur de l’entrepôt, demeure un frein à la formalisation du secteur. Malgré cela, le Building Quality Control Index du Cameroun, à 13 sur 15, révèlant un cadre normatif solide pour la sécurité et la conformité des constructions.
Pour illustrer, l’analyse des données du guichet unique crée en 2021 concernant les dossiers de la commune urbaine de Douala entre 2024 et 2025 montre cette commune observe des délais moyens prolongés pour le traitement des certificats d’urbanisme, avec moins de 7% des constructions possédant un permis de construire. Le permis de construire prend en moyenne 77,17 jours, tandis que la mutation totale de titre nécessite 45,07 jours. De même, les mutations partielles de titre affichent également un délai élevé, tandis que les demandes de certificat d’Information sont traitées rapidement en 22,75 jours. Les lenteurs observées sont dues à la complexité réglementaire et au manque de fluidité entre les différents services impliqués. Des dépassements moyens des délais établis sont observés pour les trois types de transfert, reflétant des inefficacités dans la gestion des dossiers.

Fig2 : Traitement des certificats d’urbanisme à la commune urbaine de Douala
6. Implications et recommandations
Cette note met en évidence que la gouvernance des données est essentielle à la performance urbaine au Cameroun. Les retards dans le traitement des certificats d’urbanisme entravent la planification et la gestion par les collectivités urbaines, qui restent dépendantes des données centralisées souvent peu précises. Cela nuit à leur autonomie et à la réussite de la décentralisation. Économiquement, cette inefficacité freine les investissements immobiliers et favorise l’informalité. Socialement, une faiblesse dans la gouvernance des données engendre des inégalités en matière d’urbanisation. Technologiquement, une numérisation sans une architecture de données adéquate limite l’impact des initiatives numériques, comme le guichet unique.
Pour renforcer la gestion urbaine, il est essentiel de développer une politique nationale et locale de gouvernance des données urbaines comme la création d’une stratégie nationale pour regrouper les initiatives existantes, l’établissement d’observatoires municipaux de données pour ancrer la décision publique dans des réalités locales, et la mise en place d’un cadre local de gouvernance des données pour chaque commune pour accompagner la décentralisation. Cette note propose de définir des normes communes pour le partage et la production de données, ainsi que de digitaliser les processus d’octroi de certificats d’urbanisme, accompagné par une formation continue et des mesures de cybersécurité. Enfin, la décentralisation de la gouvernance des données doit impliquer tous les acteurs, des citoyens aux institutions, transformant ainsi les données en un bien commun stratégique pour le développement urbain.
Par Dr. NZEPANG Fabrice, Cameroon Economics Society, Research Center on Innovation, Institutions and Inclusive Development


