Le Cameroun est devenu un dépotoir d’ordures. Il y a quelques jours, le ministère de l’Habitat a annoncé pour le mois de mai, la tenue des Etats généraux sur la gestion des ressources en déchets urbains. Pensez-vous que ce soit la solution idoine pour résoudre le problème des ordures dans les capitales du Cameroun ?
Les états généraux sur la gestion des ressources en déchets urbains qui se tiendront du 06 au 07 mai 2025 dans la ville de Yaoundé représentent une véritable opportunité pour le secteur de la gestion des déchets et pour l’assainissement de nos villes. Ces états généraux font suite à la situation d’insalubrité avérée dans laquelle les capitales et même toutes les autres villes du Cameroun sont confrontées.
Il s’agit pour certains d’une autre occasion de se retrouver pour bavarder inutilement et de dilapider l’argent du contribuable parce que les solutions semblent connues d’avance pour améliorer l’état d’insalubrité des villes. A savoir mettre de l’argent à disposition pour l’enlèvement. Cependant, l’approche visant à recueillir premièrement les avis des parties prenantes est louable.
Ce sera une opportunité d’opérer un réel diagnostic à froid sur le sujet avant de prendre des engagements ou des résolutions car s’il est bien connu que le secteur souffre du manque de financement, encore faudrait-il savoir distribuer les ressources quand il y en aura aux réels acteurs qui œuvrent au quotidien pour la gestion durable des déchets.
Je pense surtout aux PMEs, aux associations, aux particuliers qui pré collectent et transforment les déchets. Puisque les autres grandes entreprises en charge de la collecte finissent par enfouir ces déchets sans en tirer le meilleur comme ressource. On espère que les voix seront réellement entendues et que contrairement aux précédentes assises, des résolutions pouvant se traduire par des actions concrètes seront prises.
Comment analysez-vous la manière dont les déchets sont gérés au Cameroun ?
Le système de gestion des déchets actuel est quasi linéaire avec peu ou pas suffisamment d’opérations de valorisation. Les principaux acteurs qui bénéficient des financements étatiques n’œuvrent pas à la valorisation des déchets. Ils les collectent dans les zones accessibles à leurs engins, les transportent sur de longues distances pour les mettre en décharges. Non seulement la pré collecte et la collecte ne sont pas efficaces car l’on ne collecte qu’environ 40% des déchets réellement produits, mais les villes comme Douala et Yaoundé ne disposent que d’une seule décharge ce qui alourdie les dépenses en carburant et en temps.
Enfin, ces déchets ne sont pas valorisés au niveau des centres de traitement mais enfouis. Pourtant ils sont à 97% valorisables. La fraction putrescible qui représente environ 70% des déchets urbains n’est pas valorisé. Les récupérateurs informels qui alimentent l’industrie du recyclage local et étrangère (Nigéria) ne bénéficient que peu ou pas de financement. Il en est de même des pré-collecteurs et des petits recycleurs.
L’immondisation des villes à laquelle nous assistons et qui expose la santé humaine et écologique a pour principal facteur, outre l’inefficacité des services de collecte, l’insuffisance et la mauvaise répartition spatiale des points de collectes aménagés. En effet, alors que les quartiers structurés bénéficient des bacs à ordures bien disposés, les quartiers périphériques et mal lotis, pauvres en voirie, n’en disposent que très peu. Ce qui contribue à précariser davantage ces quartiers. En outre, quand bien même les bacs sont disposés dans ces quartiers, l’irrégularité des services d’enlèvement révoltent les ménages riverains.
Par ailleurs, l’éloignement des bacs des ménages (au-delà de 150 mètres) poussent ces derniers à vider leurs déchets dans des exutoires inappropriés (cours d’eau, caniveaux, voie publique…). La politique de salubrité actuellement mise en œuvre consiste à lutter contre l’immondisation observée. Cela se manifeste par les fermetures de presque tous les points de collecte y compris ceux jadis aménagés. L’on s’interroge ainsi sur le devenir des déchets en absence des services de collecte porte à porte.
Enfin, les rôles et responsabilités sont redondants pour les différents acteurs y compris les administratifs. Compétences des mairies de villes et celles de communes d’arrondissement. La Loi fixant les règles applicables aux Communes et la Loi portant Code Général des Collectivités Décentralisées conférent la gestion des déchets à la fois aux Communes et aux Communautés Urbaines. Par ailleurs, les institutions ministérielles comme le MINHDU, le MINEPDED et le MINDDEVEL jouent les mêmes rôles mais chacun de son côté. Cette absence de synergie d’action accroit les dépenses et affaiblit les efforts et laissent croire que rien n’est fait dans le secteur.
Quels sont selon vous les actions concrètes qui doivent être menées pour une meilleure gestion des déchets ménagers ?
Pour une gestion efficace et durable des déchets solides dans nos cités, plusieurs actions peuvent être entreprises, parmi lesquelles :
-Le renforcement des pouvoirs et ressources des maires d’arrondissement pour une Gestion de proximité ;
-Donner de la valeur économique aux déchets : la ferraille, l’aluminium, le verre, le plastique PET, les ossements, les D3E… sont triés y compris à la source car il existe des filières pour les valoriser. Cependant, le fermentescible en l’occurrence qui représente la part belle des poubelles n’est que très peu récupéré. Pourtant des options de valorisation en agronomique et énergétique existent mais nécessitent des moyens financiers dont les petits recycleurs n’en disposent pas ;
-Renforcer les moyens techniques, technologiques et financiers des petits recycleurs locaux ;
-Réorienter les financements vers les acteurs de la pré-collecte et de la valorisation ;
-Former les populations à la gestion durable de leurs déchets
Comment comptez-vous accompagner le gouvernement dans la gestion des ordures à travers votre syndicat ?
En tant que chercheur en rudologie (étude des déchets, de leur élimination Ndlr) et acteur de terrain, je suis dans le secteur des déchets depuis une quinzaine d’années. Je suis membre d’un groupe de plus de 200 organisations (PMEs, associations, GICs) et personnes physiques qui œuvrent dans le secteur de la gestion des déchets. Nous avons créé le Syndicat National Autonome des Professionnels de l’Assainissement du Cameroun (SYNAPRAC) dont je suis le Président. Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, nous renforçons nos capacités sur différentes thématiques comme le droit et la sécurité au travail, l’entreprenariat vert et l’économie circulaire, la réalisation des plaidoyers. A travers cette organisation, nous comptons contribuer à structurer davantage le secteur, participer aux instances de prises de décisions sur le secteur, capaciter les acteurs impliqués dans la gestion des déchets, mobiliser les ressources à travers les opportunités nationale et internationale comme la finance climat.