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Finances publiques : « Les anomalies relevées par la Chambre des comptes ont un impact négatif sur l’attractivité économique »

En date du 15 Octobre 2024, la Chambre des comptes de la Cour Suprême du Cameroun, a établi et  rendu public son rapport de certification du Compte Général de l’État (CGE) de l’exercice 2023, en application de l’article 2l (l-i) de la loi N°201//012 du 11 Juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques. La certification délivrée par la chambre des comptes, vise à éclairer le parlement chargé de contrôler l’exécution des lois de finances et s’adresse aussi au Gouvernement et plus largement, à tous les utilisateurs des états financiers (investisseurs, etc.).

Dans ce rapport, la chambre des comptes après délibération en Chambre du Conseil à sa séance du 15 Octobre 2024, a émis une opinion défavorable sur le Compte Général de l’État (CGE) pour l’exercice 2023 en ces termes : « La chambre des comptes certifie, qu’en raison de l’importance des questions décrites dans la section *Fondement de l’opinion défavorable* de son rapport, les états financiers ci-joints ne sont, dans tous leurs aspects significatifs, ni réguliers, ni sincères et ne donnent en conséquence pas l’image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’État, conformément aux règles et normes comptables de l’État ». Une situation de non-conformité de l’État du Cameroun face aux règles et normes comptables qu’il a lui-même érigé.

Cette opinion défavorable de la chambre des comptes a été motivée par des anomalies qu’elle a relevées dans les états financiers du Cameroun pour l’exercice 2023, suivant les normes ISSAI (Normes internationales des institutions supérieures de contrôle des finances publiques), publiées par l’organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI). Ces anomalies relevées sont les suivantes :

1-      Non-respect de l’arrêté périodique des états financiers et de l’irréversibilité de l’information comptable.

2-      Mauvais report des soldes de la balance de clôture de l’exercice 2022 à la balance d’entrée de l’exercice 2023.

3-      Sens anormaux des soldes de comptes.

4-      Anomalie sur les postes du bilan.

4-1-  Non évaluation des immobilisations de l’État.

4-2- Absence d’amortissements des immobilisations.

4-3- Anomalie sur les actifs circulants.

4-3-1  – La non exhaustivité des stocks.

4-3-2  – Non évaluation des risques de non  recouvrement des créances fiscales.

4-3-3  – Incertitudes sur l’évaluation des déficits des comptables.

5-      Anomalies sur le compte de résultat de l’exercice 2023.

6-      Incertitudes sur le tableau des flux de trésorerie (TFT) de l’État au 31 Décembre 2023.

7-      Absence de l’état annexé.

Ces anomalies relevées par la chambre des comptes ont des conséquences significatives sur plusieurs aspects de la gestion et de l’attractivité de l’État du Cameroun. Elles ont une incidence sur l’attractivité du Cameroun auprès des investisseurs ; une incidence sur la gouvernance du Cameroun ; une l’incidence sur les politiques économiques du Cameroun ; et pose le problème de l’adoption des principes de conformité par le Cameroun.

1.      L’Incidence sur l’attractivité auprès des investisseurs

Les investisseurs recherchent la transparence et la fiabilité dans les états financiers d’un État pour évaluer le risque d’investissement. Les anomalies identifiées, telles que le non-respect des normes comptables, le mauvais report des soldes, et les incertitudes sur les actifs et passifs, peuvent engendrer plusieurs effets :

ü  Perception du risque : Les investisseurs peuvent percevoir un risque accru en raison de l’irrégularité et de l’incertitude des informations financières, ce qui peut les dissuader d’investir au Cameroun.

ü  Coût du capital : Un manque de confiance dans la gouvernance financière peut entraîner une augmentation du coût du capital, car les investisseurs exigeront des rendements plus élevés pour compenser le risque perçu, chose visible au regard des taux d’emprunt appliqués au Cameroun sur ses emprunts à l’international.

ü  Attractivité du marché : Un État avec une mauvaise réputation en matière de gestion financière peut voir ses marchés financiers devenir moins attractifs, ce qui pourrait limiter l’accès à des financements à long terme. La baisse de l’attractivité du Cameroun peut se ressentir par l’annonce de départ et le départ de plusieurs grands groupes internationaux de son marché.

2.      Incidence sur la gouvernance

La gouvernance d’un État repose largement sur la transparence et la responsabilité. Les anomalies constatées peuvent avoir plusieurs répercussions au niveau :

ü  De la confiance du public : La découverte d’anomalies dans les états financiers peut éroder la confiance du public et diminuer le soutien aux politiques gouvernementales.

ü  De la Responsabilité : Les dirigeants pourraient faire face à des critiques accrues concernant leur capacité à gérer les finances publiques, ce qui pourrait engendrer une pression pour des réformes.

ü  Du renforcement des contrôles internes : Cette situation pourrait pousser l’État à renforcer ses mécanismes de contrôle interne pour éviter que de telles anomalies ne se reproduisent.

3.      Incidence sur les politiques économiques

Ces anomalies financières et comptables peuvent également influencer les politiques économiques mises en œuvre par l’État du Cameroun sur plusieurs plans dont:

ü  De la planification budgétaire : Des états financiers peu fiables compliquent la planification budgétaire, rendant difficile l’allocation efficace des ressources.

ü  Des réformes économiques : La nécessité de corriger ces anomalies pourrait conduire à des réformes économiques urgentes, mais cela nécessite souvent un consensus politique qui peut être difficile à atteindre.

ü  Du Soutien international : Les partenaires internationaux et les bailleurs de fonds peuvent hésiter à soutenir un État dont les finances sont jugées peu fiables, ce qui peut impacter le développement économique.

4.      Adoption des principes de conformité

L’adoption des principes de conformité est essentielle pour garantir que l’État du Cameroun respecte les normes comptables et financières. Les anomalies constatées indiquent un écart significatif par rapport à ces principes, dont la correction implique :

ü  L’urgence d’une réforme : L’État du Cameroun devra prioriser l’harmonisation avec les normes ISSAI pour restaurer sa crédibilité tant sur le plan national qu’international.

ü  La formation et la sensibilisation : Il est crucial d’investir dans la formation des agents chargés de la comptabilité publique pour assurer une meilleure compréhension et application des normes comptables et financières.

ü  Des mécanismes de suivi : Mettre en place un système robuste de suivi et d’évaluation pour garantir que les pratiques conformes sont appliquées systématiquement.

En somme, les anomalies relevées par la chambre des comptes de la cour suprême du Cameroun,  ont un impact négatif non seulement sur l’attractivité économique de l’État du Cameroun, mais aussi sur sa gouvernance et sa capacité à mettre en œuvre efficacement ses politiques économiques. Une action rapide, dans le court terme est nécessaire pour remédier à ces problèmes afin de restaurer la confiance à l’État du Cameroun, tant au niveau national qu’international. Surtout que ce rapport national vient donner amplement raison au GAFI (Groupe d’Action Financière) qui avait pris le 23 Juin 2023 la décision d’inscrire le Cameroun sur sa liste grise et à l’ITIE (Initiative pour la Transparence des Industries Extractives)  qui a pris le 1er Mars 2024 la décision de suspendre le Cameroun de son processus « jusqu’à sa prochaine validation ». Un ensemble de constats qui invitent à la réforme urgente de la gouvernance camerounaise.

 Par M. Ange NGANDJO (Banquier-Consultant), Décembre 2024.

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