Constat
Selon un rapport de la COSUMAF (Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique Centrale) sur les performances des acteurs du marché en 2021, le volume total d’Actifs sous Gestion (AuM) par les Sociétés de Gestion de Portefeuille (SGP) ou Asset Managers (AM) en Zone CEMAC s’élevait à 348 Milliards FCFA au 31.12.2021.
Selon le même rapport, le volume d’actifs confiés par les compagnies d’assurances aux SGP était de 24,3 Milliards FCFA représentant à peine 7% del’encours global.
Force est de constater en 2023 que malgré la multiplication des acteurs et produits sur le marché de la gestion d’actifs avec près de 15 Sociétés de Gestion de Portefeuille et plus de 30 Fonds communs de placements (FCP) disponibles à date), couplée par des efforts constants du régulateur en termes d’éducation financière et d’organisation du cadre réglementaire, le recours aux Asset Managers de la zone CEMAC par les assureurs notamment, pour la gestion dynamique de leurs actifs reste timide.
Réflexion
De manière structurelle et en lien avec leur activité, les compagnies d’assurances collectent à fréquence régulière des primes de leurs clients. Elles doivent s’assurer de placer cette liquidité de manière optimale en ligne avec leur politique A.L.M. (Gestion Actif-Passif) pour toujours être en mesure d’honorer leurs engagements à court, moyen et long terme. Les placements des actifs des assureurs doivent répondre aux impératifs de sécurité, liquidité, rentabilité et de diversification.
L’Asset Manager pour sa part doit gérer pour le compte des souscripteurs/clients la trésorerie collectée à travers à ses produits tels que les Organismes de Placements Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM), et mandats de gestion, de manière dynamique et proactive, tout en intégrant le profil des investisseurs, le niveau de risque envisagé et la rentabilité attendue.
Sur le marché de la zone CEMAC, il est désormais de plus en plus clair que les sociétés d’assurances s’orientent vers des produits financiers plus rentables que les Dépôts à Terme (DAT) classiques proposés par les établissements bancaires.
Ces produits financiers plus attractifs (même fiscalement) sont notamment les Emprunts Obligataires des Etats et de sociétés privées, ainsi que les Obligations du Trésor du marché monétaire BEAC comme l’indiquait le Président de l’ASAC (l’Association des sociétés d’Assurances du Cameroun) dans une interview accordée en Novembre 2022.
Néanmoins, si les Assurances s’activent dans la diversification de leurs supports de placements, elles préfèrent encore largement le faire en direct avec les banques et autres intermédiaires agréés, au détriment de l’expertise et l’accompagnement des Asset Managers présents, dont la présence a pour effet positif d’animer et de dynamiser le marché (primaire mais surtout secondaire).
Proposition
Le dynamisme actuel du marché financier de la zone CEMAC pousse à imaginer un cercle vertueux dans lequel les assureurs confieraient la gestion d’une partie importante de leur trésorerie à des Asset Managers qualifiés et agréés en zone CEMAC pour une meilleure dynamisation du marché sous régional.
En effet, cette situation pourrait présenter de nombreux avantages :
- Un impact positif sur le recyclage progressif de la trésorerie stockée en Dépôts à Terme (DAT) auprès des banques, en ligne avec la volonté des régulateurs COBAC et COSUMAF,
- La possibilité pour l’Assureur d’externaliser tout ou une partie de sa gestion d’actifs à des professionnels de la gestion financière afin de mieux se concentrer sur son cœur de métier qui est la sélection, la souscription, la mutualisation et la gestion des risques,
- Une gestion plus dynamique des tombées de coupons, avec un réinvestissement plus rapide lors de l’arrivée à maturité des instruments détenus grâce à l’expertise, la connaissance des marchés financiers et la capacité d’anticipation des Asset Managers,
- L’élimination progressive des coûts d’opportunité liés au retard dans l’exécution des ordres de placement par les assureurs en direct sur le marché. En effet, entre l’identification du besoin, la sélection du titre financier adapté, la prise de décision de placer par l’Assureur et les différentes validations internes jusqu’à l’exécution du virement bancaire pour finaliser le processus d’achat, l’Assureur perd potentiellement plusieurs jours d’intérêts sur sa trésorerie oisive dans l’année.
Pour illustration, un placement sur un titre de 1 milliard FCFA au taux de 6% net rapporte 60 millions FCFA par an et donc précisément 166.667 F par jour. Lors de l’arrivée à l’échéance d’un tel titre, sans anticipation par l’Assureur, une quinzaine de jours à 30 jours peuvent être perdus ce qui provoquerait une perte de 2,5 millions de FCFA à 5 millions de F CFA soit entre 0.25% et 1% du montant placé. En comparaison, un placement similaire sur un FCP rémunéré à 6% net garantirait une rentabilité continue et optimale puisque nette de frais et commissions.
- La structuration conjointe de produits dédiés innovants, spécifiques aux besoins des assureurs et/ou de leur clientèle tels que des OPCVM “Assurances” déjà très populaires en zone UEMOA.
- L’accroissement des canaux de distribution de ces produits grâce aux Asset Managers qui en deviendraient des distributeurs, améliorant de fait leurs performances commerciales communes.
- L’opportunité pour les assureurs d’investir sur des produits financiers liquides tels que les FCP et Organismes de placement Collectif Immobilier (OPCI) indispensables pour une gestion adéquate des risques de liquidité à court/moyen terme.
- Enfin, une opportunité claire de diversification des risques de contrepartie et de gestion des ratios prudentiels
Conclusion
Selon les récentes statistiques du Marché des Titres Publics (MTP) de la BEAC, Le volume d’encours de titres (OTA/BTA) détenus au 31.12.2022 par les investisseurs sur le marché monétaire à lui seul s’élevait à 5.300 Milliards de FCFA soit pratiquement 100 fois plus qu’à son démarrage en 2011 (57 Milliards FCFA).
En comparant cet encours sur le MTP au volume d’Actifs global géré par Asset Managers CEMAC à fin 2022 qui se situait à 370 Milliards FCFA (soit 7% environ), on envisage mieux le potentiel de croissance de cette activité de gestion de portefeuille qui peut être porté par le secteur des assurances, qui injecteraient des liquidités à moyen/long terme en fonction de leur profil et activité (vie et/ou non vie) pour une rentabilité de leurs placements optimisée par ces professionnels de la gestion.
Les Asset Managers en retour utiliseraient ces ressources pour dynamiser le marché secondaire à travers la vulgarisation de produits de collecte d’épargne à destination du grand public (OPCVM, OPCI) pour un financement encore plus efficace de nos économies sous-régionales.
En effet, les OPCVM grâce aux ressources mobilisées deviendraient plus performants entraînant de fait la collecte des plusieurs petits porteurs dont la capacité d’épargne avec l’effet multiplicateur, renforcerait encore plus la performance des fonds.
L’espoir semble donc permis de voir de plus en plus des initiatives où Assureurs et Asset Managers travailleraient ensemble pour le développement global de l’économie de la zone CEMAC.
Patrick A. FOMETHE
Directeur Général KORI ASSET MANAGEMENT SA (KAM)
Membre du Conseil d’Administration